« L’autre jour, un ami qui travaille dans la finance me dit : « Avec la crise sanitaire les entreprises vont perdre beaucoup d’argent. Et quand il y a des pertes il n’y a plus de fonds propres. » « Ah, mais qu’est-ce qui reste alors ? » « Les dettes ! ». « Et qu’est-ce qu’on en fait ? » « On les transforme en fonds propres ! » « Ah, alors c’est toujours la même chose à chaque fois qu’il y a une crise ». Ça pourrait ressembler à un vieux sketch de Raymond Devos. C’est pourtant un sujet qui commence à sérieusement agiter les esprits. Des pans entiers de l’économie manquent cruellement de fonds propres. Et la reprise reste incertaine.

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2008, la crise financière lamine les bilans. Ceux des banques notamment, ce qui conduira les superviseurs à renforcer une réglementation, manifestement trop laxiste, en imposant de nouvelles règles : Bâle 3, coussins contra-cycliques, obligations renforcées pour les établissements classés systémiques…. On estime aujourd’hui que le besoin en capital des banques a été multiplié par deux depuis. Avec un double effet sur le coût et la rentabilité du capital et donc sur les valorisations des valeurs bancaires. Aujourd’hui, les deux ex-fleurons de la finance allemande, Deutsche Bank et Commerzbank capitalisent moins que le montant des augmentations de capital qu’elles ont réalisées ces 10 dernières années. Les crises font ressortir les faiblesses. 

Celle que nous traversons n’échappera pas à la règle. Tout le monde l’a bien compris lorsque pour bénéficier des aides d’États il a fallu annuler les dividendes et renoncer aux rachats d’actions. Et de nombreuses entreprises qui n’ont pas eu à couper leurs dividendes l’ont réduit. Des mesures destinées, bien entendu, à renforcer les fonds propres pour éviter que la crise de liquidités ne se transforme en crise de solvabilité.

Dans une tribune parue dans le journal Les Échos du 29 avril dernier, l’ancien président du Crédit Lyonnais, Jean Peyrelevade, aborde directement le sujet. Les entreprises françaises ne doivent pas recourir à la dette pour maintenir leurs liquidités, c’est de fonds propres dont elles ont besoin. Et de rappeler que « les fonds propres d’une entreprise, son actif net, c’est-àdire la différence entre le total de ses actifs et celui de ses dettes, représentent un matelas de sécurité et de puissance à partir duquel elle peut à la fois se protéger de risques inattendus et investir dans la préparation de l’avenir ». Il estime que l’effet de levier (le rapport entre l’endettement brut et la génération de cash-flow) était à 4,5 avant la crise. Un niveau déjà élevé (en partie dû à l’optimisation fiscale et la chronique baisse des taux d’intérêt), difficilement supportable quand les résultats plongent et ne permettent pas de faire face aux échéances. Il souligne cependant les réticences du capitalisme familial, coté en bourse ou non, à se laisser diluer. A partager le pouvoir.

On pourrait bien sûr envisager, comme c’est le cas en Allemagne, la création de titres de natures juridiques différentes, permettant la cohabitation entre les actionnaires assurant le contrôle via des titres avec droit de vote et ceux offrant une rémunération plus élevée mais sans droit de vote. Ces instruments n’ont jamais rencontré un franc succès en France dans la sphère cotée. Les plus anciens se souviendront des spéculations qui ont entouré certaines Actions à Dividendes Prioritaires (Sagem, Legrand….) ou autres Certificats d’Investissement lorsqu’il s’est agi de retirer ces petites « souches » devenues inutiles, et coûteuses, de la cote.

Et à l’heure ou le patronat appelle -chose toujours étonnante- l’État à creuser les déficits, Jean Peyrelevade appelle de son côté à la création d’un « instrument public d’investissement en fonds propres ou en quasi-fonds propres ». L’État l’avait déjà fait en 2008, notamment pour l’industrie automobile, en créant le Fonds de Modernisation de l’Industrie Automobile, puis en portant secours à un Peugeot alors moribond. Le secteur automobile une nouvelle fois touché, avec celui du tourisme, du bâtiment, de la promotion immobilière, de la distribution spécialisée (Conforma, Alinéa sont en grandes difficultés, FNAC-Darty a eu recours aux aides d’États…), le secteur aéronautique que l’on croyait pourtant insubmersible il y a peu de temps encore… Peut-on faire la sourde oreille lorsque le patron de Boeing évoque la probable faillite d’une grandes compagnie aérienne ou d’Airbus estimant que, sans actions immédiates, la survie de l’avionneur européen est en jeu ? La Caisse des Dépôts va déjà porter secours au secteur touristique, avec une enveloppe de 1,3 milliard d’euros.

Peut-on penser raisonnablement aujourd’hui que les près de 400.000 Prêts Garantis par l’État accordés, pour un montant de 65 milliards, seront remboursés avec les seuls cash-flow des entreprises ? N’y a-t-il pas un risque sur les chaînes d’approvisionnement des grands groupes, une forme de risque systémique ? Ne faut-il pas faire preuve d’un excès d’optimisme pour penser qu’Air France-KLM pourra rembourser les 7 milliards d’aides accordées par l’État Français, tout en « verdissant » son écosystème, quand on sait que la compagnie aérienne n’a dégagé que quelques centaines de millions d’euros de free cash-flow ces dernières années et avait reçu, en 2017, 750 millions de ses partenaires Delta Airlines et China Eastern pour renforcer leurs partenariats. Renault - autre entreprise française en difficultés dont l’État détient 15 % du capital - va recevoir 5 milliards. Pourra-t-il le faire tout en continuant d’investir massivement, sans délocaliser, dans la voiture de demain ? Comment peut-on prétendre préparer le monde d’après lorsque l’on est exsangue. C’est pour cela que Bercy a déjà prévu une enveloppe de 20 milliards pour des recapitalisations (dont 3 mds pour Air France).

Certains n’ont pas attendu. Le sidérurgiste Arcelor Mittal vient de lever 2 milliards d’Euros dont 750 millions par augmentation de capital, le solde via des obligations convertibles. Safran a lui aussi opté pour des obligations convertibles (800 mlns) avec des conditions beaucoup plus avantageuses qu’auparavant. Et ceux qui ne pourront pas le faire sur les marchés financiers pourront toujours se tourner vers les entités publiques comme la Caisse des Dépôts, l’Agence des Participations de l’État ou encore la BPI ou vers les fonds de Private Equity qui ne manqueront pas de mettre à profit leur capacité d’investissement quitte à laisser sur le bord du chemin quelques situations compliquées, comme l’équipementier automobile Novares deux ans après l’échec de son introduction en Bourse.

Reste qu’un renforcement de fonds propres est une source de dilution des profits futurs. C’est la raison pour laquelle nous nous attachons à privilégier les entreprises aux bilans solides, offrant une bonne visibilité sur leur génération de trésorerie et capable de regarder sereinement l’avenir.

L’équipe de Gestion.

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