Conjoncture
Prévisions comparées 
Graphique du mois
Les vacances d’été sont imminentes, et beaucoup de gens pourraient les passer dans leur propre pays. Il s’agit d’un problème majeur pour l’Europe du sud, « exportatrice nette de vacances d’été ». La perte des voyageurs étrangers amputerait de respectivement 20% et 10% environ les PIB de la Grèce et du Portugal au troisième trimestre. La grande gagnante serait l’Europe du nord. Le PIB de la Belgique augmenterait de 3% si tous ses ressortissants y passaient leurs vacances. En valeur absolue, le déficit de la balance touristique allemande est le plus spectaculaire (-18 milliards d’euros au troisième trimestre 2019). Tendance prometteuse pour la Suisse : les chiffres de Google Trends dénotent une envolée des recherches allemandes pour des va- cances en Suisse depuis la réouverture des frontières.
Etats-Unis
La deuxième vague déferle
Les données publiées depuis notre dernière édition se sont révélées très largement positives. Ventes de détail, production industrielle et marché des logements de mai ont rebondi plus fort que ne l’attendaient les mar- chés lors de la réouverture de l’économie, avec à la clé un stupéfiant recul du chômage en mai. Ce climat s’est prolongé en juin avec des chiffres supérieurs aux attentes pour la quasi-totalité des enquêtes, de l’industrie manufacturière régionale à la confiance des ménages. L’indice de surprise économique de Citi, qui compare prévisions et chiffres effectifs, a ainsi atteint un pic historique pour les Etats-Unis qui, entre maîtrise de la pandémie et réduction du coût économique, ont clairement choisi la deuxième option. Aux dernières nouvelles, les nouveaux cas quotidiens continuaient d’augmenter sur une base déjà élevée, le virus se déplaçant vers des Etats naguère moins touchés, surtout dans le sud. Ces nouveaux foyers, dont deux poids lourds économiques (Texas et Floride), concentrent environ 22% du PIB américain. Bien que le rebond du virus menace la reprise au troisième trimestre et que certains Etats aient cessé ou réduit leur déconfinement, la réticence de ces régions conservatrices à imposer des restrictions devrait limiter le coût économique, d’où notre estimation inchangée de recul du PIB de 3,4% en 2020, bien plus optimiste que les prévisions du consensus.
Si la plupart des chiffres sont remontés en mai grâce au déconfinement, l’inflation, toujours en recul, a été inférieure aux attentes, surtout dans l’énergie, l’habillement, les voitures d’occasion et les transports. Il semblerait donc que des promotions se soient imposées pour empêcher la demande de sombrer en mai. Le pire devrait toutefois être passé, la hausse des prix de l’énergie et la normalisation de l’activité devant réveiller petit à petit l’inflation totale et sous-jacente.
Zone euro
Un sommet européen décisif
De la Sicile à la Finlande, l’Europe se remet de sa plus grave récession depuis des décennies. Les indicateurs économiques se stabilisent ou s’améliorent, les pays européens les moins touchés par le COVID-19 étant les mieux placés pour une reprise en U au second semestre. Pourtant, malgré ce redémarrage graduel, le chômage et les faillites d’entreprises devraient encore augmenter jusqu’à l’an prochain, voire au-delà. Notre propre estimation de baisse du PIB réel en 2020 reste moins pessimiste que pour la plupart de nos confrères puisque, sur les 29 établissements formant le consensus ce mois-ci, deux seulement se montraient un peu plus optimistes que nous. L’écart entre les prévisions annoncées semble relativement faible concernant la baisse attendue de la production au deuxième trimestre, mais important quant aux perspectives de reprise au troisième trimestre. Pour que notre scénario de base puisse se réaliser, tout reconfinement éventuel devra se limiter strictement aux nouveaux foyers d’infection. Si une deuxième vague submergeait le système de santé européen, l’économie stagnerait pendant plusieurs trimestres. S’il revenait aux Etats membres de combattre l’épidémie, ce sont les institutions européennes qui devront contrer ses conséquences économiques. Pour ce faire, un accord sur le plan de relance lors du sommet extraordinaire des 17 et 18 juillet sera indispensable.
Analyser les tendances inflationnistes européennes de la crise actuelle n’est pas aisé. Les chiffres préliminaires de juin ont fortement surpris dans les deux sens : si nous avions sous-estimé l’inflation allemande, l’inflation française s’est avérée bien inférieure aux attentes. Depuis mars, les offices de statistiques nationaux font état de difficultés à recueillir les prix des biens, et encore plus des services, dont l’offre était provisoirement suspendue.
Allemagne
Nette remontée des prévisions
L’économie allemande se remet de la chute libre de l’activité en mars et avril, et de la légère récession déjà entamée avant l’épidémie. L’enquête détaillée de l’institut Ifo révèle une nette amélioration de la confiance des entreprises dans la situation actuelle mais aussi, et surtout, pour leur activité future. Si les prévisions d’évolution de l’activité restent relativement prudentes, elles se sont améliorées dans la grande majorité des secteurs étudiés, y compris les services les plus touchés par le confinement. A court terme, l’économie allemande bénéficie d’une conjonction de facteurs favorable : gestion réussie de la pandémie, réaction budgétaire convaincante et tourisme national qui entretiendra la demande de biens et services dans le pays cet été. Comme celle des entreprises, la confiance des ménages s’est sensiblement redressée ce mois-ci. A l’heure où la principale économie européenne semble se tirer de la crise avec quelques égratignures seulement, certaines de ses faiblesses structurelles les plus anciennes refont surface. Les détails de l’enquête Ifo montrent que les constructeurs automobiles prévoient toujours des licenciements. Or, les difficultés persistantes de ce secteur remettent en question l’emploi chez de nombreux sous-traitants et pourraient expliquer pourquoi l’indice allemand des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière ne s’est pas redressé au même rythme que ceux de la France ou du Royaume-Uni.
Les chiffres préliminaires de l’inflation allemande de juin ont surpris à la hausse. Les entreprises touchées par les restrictions destinées à endiguer l’épidémie de COVID-19 semblent pouvoir répercuter la hausse des coûts sur leurs clients. De fortes hausses de prix ont été enregistrées pour les services de coiffure et d’esthétique, mais aussi les restaurants. La réduction temporaire de la TVA au second semestre accroîtra la volatilité des statistiques de prix mensuelles.
France
L’activité touchée de toutes parts
Comme dans le reste de l’Europe, les indicateurs économiques français ont commencé à s’améliorer le mois dernier. La confiance des ménages et des entreprises est remontée après les plus-bas récents et l’indice des directeurs d’achats est repassé au-dessus du seuil d’expansion des 50 points dans les trois secteurs de l’industrie manufacturière, des services et de la construction. Pourtant, par rapport aux autres membres de l’UEM, la France tarde toujours à rouvrir son économie. D’après l’indice de rigueur des mesures de confinement de l’université d’Oxford, celles en vigueur en France restent plus strictes qu’en Allemagne, mais aussi qu’en Italie ou en Espagne. Du rythme de réouverture d’une économie dépendent la vitesse de récupération de son activité intérieure et le retour à des niveaux plus normaux. Un retard par rapport aux autres pays peut certes protéger d’une deuxième vague d’infection, mais à un prix économique. De plus, son exposition comparativement plus élevée aux services constitue son talon d’Achille en 2020. Le pays est traditionnellement un bénéficiaire net des flux touristiques (voir graphique du mois) et les restrictions de déplacements pourraient encore entraver une reprise déjà timide. Contrairement à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, sa marge de manœuvre budgétaire est relativement mince et bride le potentiel d’une amélioration rapide de la demande intérieure finale.
Les prix à la consommation ont augmenté de seulement 0,1% en juin en glissement annuel, toujours entravés principalement par les tarifs de l’énergie, qui ont reculé de 9% par rapport aux niveaux de juin 2019. Nous prévoyons une inflation négative pour la France au troisième trimestre. L’effet de base des faibles prix de l’énergie devrait se dissiper au second semestre 2021 et d’ici là, l’inflation annuelle pourrait remonter au-dessus de 1%.
Royaume-Uni
Une innovation politique sensée
Les chiffres britanniques n’ont cessé de surprendre ces 30 derniers jours. D’abord, le plongeon de l’activité en avril a été bien plus grave que nous ne l’attendions, d’où la nouvelle révision en baisse de nos prévisions de PIB 2020. Selon les chiffres mensuels de l’activité, l’économie ne tournait qu’à 75% de son niveau d’avant-crise en avril, les hôtels et restaurants ayant perdu plus de 90% de leur chiffre d’affaires. Entre-temps sont apparues de bonnes nouvelles : les ventes de détail en volume ont rebondi en mai et la confiance des entreprises s’est bien améliorée en juin, avec une poussée encore plus nette de l’indice des directeurs d’achats du secteur manufacturier en territoire expansionniste. Plus important encore, le nouveau plan de sauvegarde de l’emploi, censé limiter les effets sur le marché du travail, a rencontré un franc succès. Aux dernières nouvelles, quelque 30% des salariés étaient au chômage partiel et le dispositif finançait 80% des salaires mensuels dans la limite de 2500 livres. Dès juillet, les entreprises pourraient remettre ces salariés au travail à temps partiel, tout en continuant à toucher les subventions, ce qui facilitera le redémarrage de la production et conforte notre prévision de reprise graduelle au troisième trimestre. Le principal risque serait une recrudescence de l’infection sous l’effet de la réouverture des restaurants début juillet et de l’assouplissement des contraintes de déplacement. En outre, les négociations commerciales avec l’UE, appelées à s’intensifier ces prochains mois en vue de la fin de la période de transition en décembre, créeront de nouvelles incertitudes pour les entreprises.
L’inflation totale annuelle ayant moins reculé que prévu en mai, à 0,5%, nous avons un peu relevé notre estimation pour l’année 2020. Nous pensons que mai marquera un plus-bas sachant que la remontée des prix de l’énergie et la normalisation de l’activité tireront les prix à la hausse, surtout pour les biens comme les vêtements, concernés par d’importantes promotions.
Suisse
La reprise a commencé
La publication des chiffres du PIB suisse du premier trimestre (il y a une éternité, donc) avait entraîné une révision en baisse de nos prévisions pour l’année 2020. Le PIB réel du premier trimestre s’est contracté de 2,6% en séquentiel, davantage que notre projection de -2,1%. Les détails montrent que notre erreur d’appréciation résidait principalement dans l’activité du BTP. Pourtant, les représentants du secteur annoncent toujours des carnets de commandes pleins et une part de salariés en chômage partiel passée de 10% en avril à 5% en mai. Les trois grandes étapes de réouverture de l’économie depuis mai ont permis à l’activité intérieure de repartir rapidement. D’après les statistiques à haute fréquence du Centre de recherches conjoncturelles KOF, la mobilité de la population suisse aurait totalement retrouvé ses niveaux d’avant la crise. Par rapport aux autres prévisionnistes, nous restons optimistes pour l’activité économique du second semestre. La Suisse devrait être bénéficiaire nette du choix limité de destinations des touristes européens cet été. Le recul des prix à la consommation suppose une augmentation du salaire réel de la plupart des ménages helvétiques, un effet qui avait stabilisé la demande intérieure après le choc monétaire de 2015 et qui devrait soutenir la consommation cette année encore. La récession de 2020 se ressentira toutefois fortement sur les prochaines statistiques économiques : nous prévoyons pour les prochains mois une hausse du chômage et des faillites dans les secteurs les plus touchés par la crise.
L’inflation annuelle devrait rester négative jusqu’au dé- but de 2021. A -1,3%, la variation annuelle des prix à la consommation a atteint son plus-bas cyclique en mai. Notre vision plus optimiste de la reprise de l’économie en 2020 pourrait expliquer le fait que notre projection d’inflation annuelle de 0,6% en 2021 distance nettement l’estimation du consensus.
Japon
L’industrie manufacturière coule
L’économie japonaise avance à deux vitesses. Si le tertiaire a plongé pendant l’état d’urgence, ce ne fut jamais dans les proportions dramatiques des autres pays développés. Les ventes de détail ont ainsi chuté à environ 88% de leurs niveaux d’avant-crise en mai, contre 78% aux Etats-Unis, par exemple. Les effets sur le marché du travail ont donc été moins marqués au Japon qu’ailleurs, limitant les dégâts pour la consommation intérieure. Bien que le taux de chômage soit passé d’un plus-bas cyclique de 2,2% en décembre 2019 à 2,9% en mai, le pays doit toujours affronter un marché du travail plutôt tendu, avec un ratio offres/demandes d’emploi supérieur à 1. Très étonnamment, cependant, le secteur manufacturier, pilier de la stabilisation des autres économies développées, reste en grande détresse et a multiplié les mauvaises nouvelles ces 30 derniers jours. Malgré l’amélioration de la dynamique économique des premiers partenaires commerciaux du Japon (Chine et Etats-Unis), la production industrielle est tombée à seulement 80% de son niveau d’avant la crise en mai et l’état des commandes n’est pas encourageant. L’automobile, qui a réduit sa production en tout de 50% depuis janvier, y est pour beaucoup. Nous continuons pourtant de tabler sur une reprise graduelle au second semestre, grâce au rebond attendu de la demande extérieure. Nous avons même relevé légèrement notre estimation annuelle, plutôt prudente, après la révision en hausse du PIB du premier trimestre.
L’inflation totale se maintient juste au-dessus de zéro et semble un peu mieux résister que prévu. Si les services tirent toujours les prix à la baisse, les biens comme les vêtements ou les meubles n’ont pas été aussi bradés que dans les autres pays développés pendant la crise. Nous pensons que l’inflation va se stabiliser autour de ses niveaux actuels au troisième trimestre 2020.
Chine
L’aide de la relance budgétaire
Le gouvernement chinois multiplie les mesures de relance pour stimuler l’économie. La croissance de l’indicateur chinois du crédit au sens large est montée à 12,5% en mai, grâce à l’émission d’obligations spéciales par les collectivités locales, principalement à des fins de projets d’infrastructure. L’investissement dans ce domaine a ainsi pu repartir rapidement, jusqu’à afficher une hausse en mai par rapport à l’année dernière. Les consommateurs chinois, eux, semblent plus prudents. Si les ventes de voitures ou de meubles sont supérieures à l’an dernier, les services de restauration restent enfoncés dans la contraction. La réapparition du virus à Pékin rappelle que le risque d’une seconde vague n’a pas disparu. Même si nous doutons qu’un nouveau confinement soit décrété à l’échelle nationale, on peut en déduire que les mesures de distance physique ne sont pas près d’être levées, ce qui pourrait encore retarder la reprise de la consommation. De plus, le risque politique reste significatif. La Chine cherche en effet à faire adopter au plus vite à Hong Kong une loi de sécurité nationale qui lui permettrait d’accroître sa mainmise sur les citoyens de ce territoire, notamment en créant un service chargé de recueillir les informations et de traiter les crimes contre la sécurité nationale. Cette nouvelle loi va probablement déclencher une nouvelle vague de manifestations à Hong Kong et dégrader encore des relations sino-américaines qui empirent déjà.
L’inflation de mai a chuté de 3,3% à 2,4%, sous l’effet de la détente des prix alimentaires, surtout ceux du porc, qui s’étaient envolés en 2019 après que la fièvre porcine africaine eut décimé un tiers du cheptel chinois, et qui s’assagissent à mesure que l’offre remonte. Ils devraient continuer de reculer d’ici à la fin de l’année, d’où la révision de notre estimation annuelle d’indice des prix à la consommation de 3% à 2,6%.
Marchés émergents
– La reprise économique chinoise s’accélère sous l’effet des nouvelles mesures de relance du gouvernement.
– L’Amérique latine s’abîme dans la récession et tente désespérément de maîtriser la pandémie.
– La dégradation des finances publiques ne laisse qu’une marge de manœuvre budgétaire limitée.
En un chiffre
La Thaïlande n’a perçu aucune recette touristique en avril ni en mai, puisque personne n’a passé ses vacances dans ce paradis de la villégiature. Le pays a réussi à maîtriser la pandémie grâce à un confinement strict et à la fermeture de ses frontières dès début avril, mais à un prix économique élevé sachant que le tourisme représente un cinquième du PIB thaïlandais. Etant donné que la demande de voyages internationaux va sans doute rester atone même une fois les conditions d’accès au pays assouplies, ce dernier devra supporter une lourde perte économique.
En un graphique
L’Amérique latine et l’Asie du Sud-Est ferment la marche en matière de capacités sanitaires, telles que mesurées par le nombre de médecins et de lits d’hôpital, tandis que la première de ces régions affiche le taux de cas confirmés de coronavirus par habitant le plus élevé. La peur est particulièrement présente dans les zones souffrant de tensions sanitaires et, malgré l’assouplissement du confinement, les ménages hésiteront à consommer comme avant. La reprise économique devrait donc se révéler ardue dans les pays qui peinent à endiguer la propagation de l’épidémie.
Pas de deuxième vague, mais une première vague sans fin
Contrairement aux pays développés, les marchés émergents ne sont pas menacés d’une deuxième vague de coronavirus, mais peinent à maîtriser une première vague sans fin. Les nouveaux cas se multiplient en particulier en Amérique latine : les infections suivent une hausse exponentielle au Brésil, au Mexique, au Chili, en Colombie et au Pérou. Les indicateurs représentatifs du PIB d’avril montrent que les pays d’Amérique du Sud ont été durement touchés et dénotent une contraction très nette de l’activité au deuxième trimestre (graphique 1). C’est l’économie péruvienne qui a le plus plongé, avec une contraction de 40,5% en avril, conséquence du confinement – de loin le plus strict de la région – instauré pour endiguer l’épidémie. Bien que le pays ait réagi sans tarder en ordonnant à ses habitants de rester chez eux dès la mi-mars, il n’a pas réussi à contenir l’expansion du virus. Ce cas illustre la difficulté que doivent affronter de nombreux marchés émergents sachant que le confinement qui s’est révélé efficace dans le monde développé ne l’est pas autant dans les pays où la promiscuité est bien plus forte, où le télétravail est impossible et où une part substantielle de la population travaille dans le secteur informel, ce qui nécessite de sortir de chez soi pour gagner sa vie. En comparaison, l’économie brésilienne a chuté de manière beaucoup moins spectaculaire, avec un repli de « seulement » 15% en avril. Le confinement y était bien moins strict et le président Bolsonaro continue de minimiser la gravité de la crise sanitaire. Comme toutefois le pays connaît aujourd’hui l’une des progressions des nouveaux cas les plus rapides, on peut s’attendre à ce que la reprise y soit aussi très modérée. D’abord, la crainte de l’infection face à l’envolée des nouveaux cas pourrait empêcher le retour à la normale des habitudes de consommation. Ensuite, le marché du travail s’est considérablement dégradé et ne devrait pas s’améliorer de sitôt. Enfin, un retard des investissements est à prévoir compte tenu, en plus de la pandémie, d’un contexte politique générateur d’incertitude, qui affecte la confiance des investisseurs.
Les possibilités d’assouplissement monétaire se réduisent
Les banques centrales des pays émergents ont réduit leurs taux d’intérêt de plus de 20 points de pourcentage ces quatre derniers mois : baisse de 200 points de base (pb) pour le Brésil ou le Mexique, chute de 250 pb en Turquie et en Afrique du Sud, passage de 5,15% à 4% du taux directeur indien en mars. Les prix à la consommation des pays émergents devant encore reculer dans la perspective d’une demande durablement atone, les banques centrales ont encore un peu de marge pour soutenir des économies en chute libre. Tel est partic lièrement le cas des pays à haut rendement comme le Brésil, la Russie, l’Indonésie ou le Mexique. D’autres, en revanche, ont déjà des taux quasiment nuls et ne peuvent aller plus bas. A l’heure où la marge d’assouplissement monétaire s’effrite, les banques centrales du monde émergent renoncent de plus en plus à baisser encore leurs taux. En outre, l’assouplissement quantitatif est apparu ici aussi, et les institutions centrales recourent de plus en plus à l’achat d’obligations souveraines pour empêcher les coûts d’emprunt de l’Etat d’augmenter. Si l’assouplissement quantitatif peut servir à relancer l’économie des pays émergents dotés d’un solide cadre monétaire et budgétaire, il représente un risque pour ceux dont l’indépendance de la banque centrale est moins certaine, ou très dépendants de l’emprunt en devises (telles la Turquie ou l’Argentine). Les investisseurs perdraient confiance dans la capacité des banques centrales à stabiliser les prix, ce qui induirait une dépréciation, puis une envolée de l’inflation.
L’Afrique du Sud à deux doigts d’une crise de la dette souveraine
L’Afrique du Sud est particulièrement touchée par la pandémie. Les mesures de confinement, parmi les plus strictes du monde, décrétées dès la mi-mars n’ont en effet pas réussi à empêcher la propagation du virus. Malgré un taux d’infection toujours en forte hausse, le pays a dû assouplir les restrictions pour éviter que l’économie ne souffre encore plus, augmentant ainsi le risque d’une crise sanitaire persistante. Au moment où l’économie doit subir une sévère contraction, les finances publiques se dégradent. La situation budgétaire de l’Afrique du Sud était fragile avant la crise actuelle puisque l’Etat avait déjà renfloué certaines entreprises publiques déficitaires, comme le fournisseur d’électricité Eskom. Avec la récession actuelle, la situation devrait s’aggraver sérieusement. Le ministre des Finances a averti que le pays était à deux doigts d’une crise de la dette souveraine, avec une dette publique attendue à plus de 80% du PIB et un déficit budgétaire appelé à se creuser au-delà de 15% cette année. Le pays a donc annoncé, dans une révision budgétaire d’urgence, des baisses de dépenses significatives, des hausses d’impôts et une réorientation des dépenses pour contribuer au financement d’un plan d’aide spécial COVID. Sa situation financière bride les capacités de soutien économique du pays, ce qui devrait également freiner la reprise. Outre l’Afrique du Sud, plusieurs autres pays émergents comme l’Argentine, le Brésil ou l’Inde, avaient abordé la crise avec une lourde dette et des contraintes budgétaires qui limitent leurs moyens de soutien, comme l’atteste aussi la faible ampleur des plans de relance de l’économie des pays émergents par rapport à ceux des économies développées.
Chine : l’Etat vole au secours de l’économie
Premier pays touché par le coronavirus, la Chine a également été la première à lever le confinement et c’est elle qui mène la reprise aujourd’hui. Ces derniers mois, le gouvernement a multiplié les mesures de relance de l’économie. La croissance de l’agrégat qui mesure l’octroi de crédits au sens large est montée à 12,5% en mai (graphique 4) grâce, entre autres, à des obligations spéciales émises par les collectivités locales, principalement à des fins de projets d’infrastructure. L’investissement dans ce domaine a ainsi pu repartir rapidement, jusqu’à afficher une hausse en glissement annuel au mois de mai. Les consommateurs chinois, eux, semblent plus prudents. Si les ventes de voitures ou de meubles sont supérieures à l’an dernier, les services de restauration restent enfoncés dans la contraction. La réapparition du virus à Pékin rappelle que le risque d’une seconde vague n’a pas disparu. Même si nous doutons qu’un nouveau confinement soit décrété à l’échelle nationale, on peut en déduire que les mesures de distance physique ne sont pas près d’être levées, ce qui pourrait encore retarder la reprise de la consommation. De plus, le risque politique reste élevé. La Chine cherche à faire adopter au plus vite à Hong Kong une loi de sécurité nationale qui lui permettrait d’accroître sa mainmise sur ce territoire, dont les citoyens devraient protester de plus belle, ce qui dégradera encore des relations sino-américaines qui empirent déjà.
Marchés financiers
Taux d’intérêt & obligations - Une fois au plus bas, on ne peut que remonter
Etats-Unis
– Le rebond exceptionnellement marqué des statistiques économiques et des indicateurs de confiance a coïncidé avec une recrudescence des cas de COVID-19 sur une large part du territoire américain.
– La Réserve fédérale achète toujours des quantités inédites de bons du Trésor. Elle a en outre commencé l’achat direct d’obligations d’entreprises.
Zone euro
– Les indices des directeurs d’achats de la zone euro ont dépassé les attentes suite à la réouverture des économies, tandis que les nouvelles infections semblent maîtrisées pour le moment.
– La BCE a augmenté de 600 milliards d’euros son programme d’achat d’obligations, qui se trouve prolongé au moins jusqu’en juin 2021
Royaume-Uni
– Comme le reste de l’Europe, le sentiment et les statistiques économiques britanniques ont récemment dépassé les attentes du consensus avec la réouverture progressive de l’économie nationale.
– A sa réunion de juin, la Banque d’Angleterre a relevé son objectif global d’achat d’obligations, dont le rythme devrait toutefois ralentir au second semestre.
Suisse
– L’économie intérieure se remet rapidement de la crise tandis que la demande extérieure reste atone.
– Bien que la pression sur le franc se soit relâchée ces dernières semaines, nous pensons que la BNS continuera d’intervenir en cas de besoin. Nous ne prévoyons pas de baisses de taux supplémentaires pour le moment.
Japon
– Si le secteur tertiaire se redresse avec la fin de l’état d’urgence, l’industrie manufacturière reste en grande difficulté.
– La Banque du Japon a laissé sa politique monétaire inchangée. Nous n’attendons pas d’innovation sensible dans ce domaine pour les prochains mois.
La volatilité n’est pas encore revenue à la normale
La récession mondiale due au COVID-19 restera sans doute dans l’histoire comme la plus grave, mais aussi peut-être la plus courte. En juin, les écarts de crédit se sont encore resserrés de 22 points de base (pb) en euros et de 23 pb en dollars, avec des variations journalières jusqu’à 14 pb. Malgré les mesures de soutien des banques centrales, la volatilité mensuelle des écarts de crédit reste cinq plus forte que l’an dernier. Une fois au plus bas, on ne peut que remonter, ce qui explique que la dynamique économique soit repartie, quoique avec des niveaux d’activité modérés. Il semblerait que la faiblesse des fondamentaux soit masquée par les puissants facteurs techniques que constituent les mesures de soutien budgétaire et monétaire, mais il s’agit d’un exercice d’équilibriste. Si les spreads maximum sont sans doute déjà passés, leur niveau général et la vitesse de leur contraction ne rendent pas compte de la réalité économique. La crise avait commencé dans une situation de dette maximale des entreprises, qui ont encore tiré sur la corde pour assurer leur trésorerie. Avec la baisse des recettes due à l’érosion de la demande, nous redoutons une succession de faillites et de défaillances au second semestre et surveillons de près le risque de crédit, surtout dans les secteurs très exposés et dépendants des relations sociales, tels que les voyages ou les loisirs. Les taux devraient rester durablement bas, d’où notre position de duration neutre à légèrement longue.
Actions - Le chemin s’annonce chaotique
Etats-Unis
– Les dernières statistiques économiques, supérieures aux attentes, ont stimulé le marché d’actions américain. La recrudescence des infections pourrait gâcher la fête mais il faudra plusieurs semaines pour qu’elle se ressente sur les chiffres économiques.
– Les investisseurs devraient toutefois aussi tenir compte du ton apaisant de la Réserve fédérale, ce qui devrait soutenir le marché.
– Nous pensons que ces deux facteurs vont globale- ment se compenser, même si le soutien marqué de la Fed peut faire pencher la balance légèrement en faveur des actions américaines.
Zone euro
– Les économies de la zone euro ont globalement pu mener leurs déconfinements comme prévu. Toutefois, le nombre de bonnes surprises économiques bien inférieur à celui des Etats-Unis et l’impression que la BCE serait moins accommodante que la Fed constituent des obstacles pour le marché d’actions.
– D’un autre côté, la reprise plus lente du marché suppose un potentiel de rattrapage plus important des actions européennes sur la Bourse américaine.
– En résumé, nous pensons que les actions de la zone euro suivront globalement le mouvement américain.
Royaume-Uni
– La sous-performance du marché britannique reflète une conjonction de problèmes tels que l’impasse du Brexit et une gestion de l’épidémie moins efficace que dans les pays comparables.
– Comme la situation n’évoluera certainement pas beaucoup à court terme, le marché d’actions britannique a peu de chances de se distinguer sachant que sa composition sectorielle constitue un handicap supplémentaire dans la conjoncture actuelle.
Suisse
– Son caractère défensif, qui avait bien aidé le marché d’actions suisse au premier trimestre, représente aujourd’hui la cause principale d’une progression inférieure aux autres grandes places boursières.
– Si l’incertitude croissante qui règne sur l’économie mondiale peut encore soutenir le marché suisse à l’avenir, nous pensons qu’il continuera de sous-performer tant que les investisseurs internationaux resteront optimistes.
Japon
– La situation se détend un peu au Japon, comme en témoigne la levée de l’état d’urgence à Tokyo.
– Nous restons neutres à l’égard du marché d’actions japonais.
La situation sera-t-elle différente cette fois-ci ?
Ces dernières semaines, nous avons entendu et lu de multiples manifestations de surprise face à la rapidité de la reprise des marchés d’actions après la correction du premier trimestre. Comment les cours peuvent-ils remonter alors que les fondamentaux économiques semblent si fragiles ? Beaucoup d’observateurs ont également comparé cet épisode à d’autres crises (par exemple celles de 2001 et de 2008, voir le graphique), pour en conclure que le pire n’était pas encore passé. Si les crises de 2001 et de 2008 étaient nées des excès des marchés financiers et avaient fini par paralyser le système financier (quoique de manière différente à chaque fois), la récession causée par le COVID-19 relève davantage de la catastrophe naturelle. De ce fait, tant que l’état sanitaire ne s’emballera pas et que des mesures budgétaires et monétaires suffiront à atténuer les conséquences économiques à court terme, il sera rationnel pour les marchés de se projeter au-delà de la situation actuelle et de se concentrer sur l’avenir. On peut toutefois estimer que les marchés d’actions seraient aujourd’hui trop optimistes. Il ne faut donc pas s’attendre à une trajectoire régulière pour ces prochaines semaines mais bien au contraire à des accès de volatilité, notamment en raison du retour sur le devant de la scène des nombreux problèmes (tels que le commerce international ou le Brexit) restés en suspens depuis le confinement.
Devises - Pour une fois, les risques politiques servent l’EUR
Etats-Unis
– En juin, l’aversion pour le risque a augmenté sur les marchés financiers, au bénéfice des monnaies refuge, à l’exception notable de l’USD, puisque nombre des risques identifiés étaient perçus comme des menaces pour les Etats-Unis (politique américaine, orientation des nouveaux cas de COVID-19).
– Nous pensons que ces risques perdureront au cours des trois prochains mois, ce qui devrait entretenir la pression sur l’USD même si les statistiques économiques confirmaient notre scénario de reprise progressive de l’activité au troisième trimestre.
Zone euro
– Après une belle remontée en mai, l’EUR/USD s’est stabilisé dans une fourchette de 1,12 à 1,13 en juin.
– Nous sommes bien disposés à l’égard de l’EUR/USD, jugeant les risques politiques un peu plus marqués aux Etats-Unis qu’en Europe, où un accord du sommet européen extraordinaire de juillet sur le plan de relance semble de plus en plus probable.
Royaume-Uni
– Du fait d’un assez bon équilibre entre bonnes et mauvaises nouvelles économiques en juin, le taux de change GBP/USD a fluctué autour de 1,25.
– Nous doutons que les négociations commerciales avec l’UE avancent beaucoup au cours des trois prochains mois et pensons que, comme l’an prochain, de nouveaux écueils sont à prévoir avant que l’horizon ne s’éclaircisse, d’où notre vision négative sur la GBP face l’USD et à l’EUR.
Suisse
– Dans un contexte globalement défavorable au risque, le CHF a fait partie des devises les plus performantes du mois de juin en termes de taux de change effectif.
– S’il subit toujours une pression à la hausse face à l’EUR, les interventions de la BNS devraient limiter tout dérapage, ce qui explique que nous options pour la neutralité aux niveaux actuels.
Japon
– Comme le CHF, le taux de change effectif du JPY (vu comme une valeur refuge) a progressé en juin.
– Les risques politiques devant rester élevés ces trois prochains mois, nous adoptons une position négative sur l’USD/JPY.
Le marché n’attend plus de baisse des taux suisses
La montée des risques politiques (tels que les tensions entre les Etats-Unis et la Chine) ainsi que la recrudescence des cas de COVID-19 aux Etats-Unis se sont traduites par une trajectoire chaotique pour les actifs risqués en juin, au bénéfice des valeurs refuge comme l’or ou le CHF et mettant un terme à l’ascension de la monnaie cyclique qu’est l’EUR. En juin, celle-ci n’a pas bougé par rapport à l’USD mais elle a souffert face au CHF, qui a profité non seulement de son statut de monnaie refuge mais aussi du fait que le marché exclue bien plus nettement depuis deux mois toute baisse des taux de la part de la Banque nationale suisse (graphique). Les interventions sur les taux directeurs des autres banques centrales intégrées par le marché étaient plus ou moins stables, voire en légère baisse. Le resserrement des différentiels de taux a non seulement abaissé le coût d’opportunité de la détention de CHF, mais aussi amoindri l’avantage de l’USD par rapport aux autres monnaies des pays développés. Dans ce contexte déjà moins favorable au billet vert, nous pensons que l’EUR/USD pourrait s’apprécier au cours des trois prochains mois. L’augmentation des cas de CO- VID-19 et l’approche de l’élection présidentielle américaine vont certainement dégrader le climat politique outre-Atlantique, alors que l’Europe peut réserver de bonnes nouvelles dans ce domaine si le plan de relance proposé par l’UE est validé en juillet, comme nous le supposons. Certes, de nombreux obstacles jalonneront encore les négociations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni avant que la situation ne s’améliore fin 2020 (notre scénario de base) mais nous pensons que la GBP souffrira davantage que l’EUR de ces tensions accrues et passons donc à une position négative sur la monnaie britannique pour le trimestre qui vient.
Allocation d'actifs
Allocation d’actifs - Navigation dans le brouillard
Résumé
– Après un violent décrochage au premier trimestre, les marchés financiers sont presque retournés à la normale. Nous pensons toutefois qu’il est trop tôt pour se réjouir : la menace du COVID-19 reste réelle et on ignore encore combien de temps et à quel point seront touchés les différents secteurs d’activité. L’intensification de la campagne électorale américaine, la persistance des tensions internationales et d’autres problèmes en suspens comme le Brexit viennent encore épaissir le brouillard à l’horizon, un manque de visibilité que reflète actuellement notre allocation d’actifs.
Taux d’intérêt et obligations
– Le rendement des obligations d’Etat « sans risque » reste négligeable (0,6% pour les bons du Trésor américain à 10 ans, contre 1,9% en début d’année), ce qui cantonne ces dernières à une simple fonction de diversification.
– Malgré une contraction significative, les écarts de crédit restent à des niveaux qu’on pourrait qualifier de modérément attrayants malgré les dégradations des notes de crédit et, parfois, des risques de solvabilité plus élevés qu’en temps normal.
Actions
– La volatilité revient. Malgré les bonnes surprises récentes de l’économie et le soutien des banques centrales, le discours de Jerome Powell mi-juin et la recrudescence de cas de coronavirus aux Etats-Unis ont temporairement refroidi l’enthousiasme des investisseurs. Au vu des bonnes nouvelles déjà intégrées par les marchés et des incertitudes majeures qui persistent, de sérieux revers semblent inévitables malgré l’optimisme général du marché. L’élection américaine imminente crée une forte volatilité : le président sortant est devancé dans les sondages et il ravive les tensions commerciales avec la Chine et l’Europe pour séduire les électeurs.
Envolée des achats en ligne avec le confinement – même pour les actions !
Les risques actuels sont multiples, aussi bien dans le domaine médical (nouveaux cas, recherche d’un vaccin) qu’économique (choc de la demande après le choc de l’offre) ou politique (surtout l’élection présidentielle américaine de novembre, mais aussi le Brexit ou les tensions sino-américaines). L’absence de références et de précédents historiques complique encore la situation. Dans ce contexte plus qu’incertain, la demande d’actions des investisseurs institutionnels est globalement très faible. A l’inverse, les particuliers se sont révélés très actifs sur les marchés – ce qui, à part quelques erreurs de jugement, s’est révélé judicieux jusqu’ici. Une évolution à suivre de près !
Les investisseurs particuliers tirent le marché boursier
Implications pour notre portefeuille
La conjonction d’un sentiment de marché plus favorable, de la reprise partielle des économies, des échecs de la lutte contre la pandémie et d’une montée des tensions politiques complique l’interprétation de la situation et le choix de la voie à suivre. Nous préconisons donc l’attentisme en neutralisant temporairement l’essentiel de nos expositions et en ne conservant qu’une position modérée sur le crédit.
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