Si l’hebdo a pris ses quartiers d’été et reprendra officiellement à la rentrée, voici tout de même, en ce dernier lundi de juillet, une courte revue des principaux événements sur les marchés de crédit.

Annotation 2020 04 28 124749Côté macro-économique, nous continuons de penser qu’il est pour le moment prématuré de tirer des conclusions en absolu sur la qualité et la vigueur de la reprise, tant le choc était violent et la crise sanitaire encore prégnante. La crise du coronavirus sera-t-elle donc la « mère de toutes les récessions » comme l’évoquait cette semaine le directeur général de BNP AM, Frédéric Janbon, ou bien la reprise se passera-t-elle finalement mieux que prévu comme l’affirment plutôt les officiels et institutions, dont le souci principal est de maintenir une confiance sur le fil du rasoir... Au vu des discours épars des économistes, des mesures totalement inédites mises en place par les institutions, ou des statistiques encore bien disparates, risquer un chiffre de croissance global pour un pays en 2020 ou 2021 serait une gageure. Cependant, on peut déjà facilement observer des tendances relatives fortes entre les secteurs économiques, les pays, les catégories d’entreprises et leur stade de développement et d’endettement. C’est donc bien une gestion sélective, parcimonieuse voire relative qu’il faudra mettre en place pour les semaines à venir si l’on veut s’adapter aux nouvelles circonstances économiques.

Ainsi, de notre point de vue, la gestion obligataire étant avant tout un pilotage des risques, d’autant plus lorsque les rendements sont proches de zéro, il est préférable pour le moment d’éviter :

− Le secteur du tourisme et ses dérivés du transport, largement touché encore cet été (Edreams, Dufry, Easyjet, Selecta)
− Les pays dont la dépendance au tourisme est forte, hormis certains pays du sud de l’Europe qui bénéficient d’un bouclier massif de la BCE et de la solidarité récente de leurs confrères et bénéficient encore d’une prime de rendement, nous y reviendrons.
− Les secteurs de la consommation ‘plaisir’ qui souffrent d’un manque de confiance et du fameux « feel good factor » des consommateurs dont parlait notre collègue gérant actions d’Amplegest, Gérard Moulin, dans sa dernière lettre Pricing Power (A la recherche du « Feel Good Factor » disparu). Attention donc à la mode (SMCP, CBR Fashion), aux jeux (Codere, Intralot), aux loisirs, à la presse, aux constructeurs automobiles premium hors luxe (Jaguar), à la restauration (Wagamama) - bien qu’il existe peu d’émetteurs obligataires sur ce dernier segment, le redressement judiciaire de l’enseigne Courtepaille, créée en 1961, ne doit pas être considérée comme un épiphénomène -.
− Les entreprises qui souffraient déjà d’un déficit de cash-flows pré-crise. Bien qu’elles aient pu bénéficier de diverses aides dans ce contexte où les Etats avaient l’esprit large et les poches profondes, on a du mal à imaginer que ces entreprises puissent subsister au vu des conditions économiques à venir, avec, en plus, des crédits supplémentaires à rembourser... A moins que ces entreprises ne soient précisément dans des créneaux spécifiques que la crise sanitaire pourrait significativement favoriser et qui verraient un basculement majeur de leur activité ; ce pourrait être le cas par exemple dans les télécoms, le bien-être à domicile, la santé ou la protection.

Côté monétaire, assez peu de changement courant juillet, puisque les banques centrales avaient déjà mis le pied au plancher dès le second trimestre ! Difficile donc d’aller plus loin, et ce sont maintenant plutôt des ajustements de discours, des incitations aux gouvernements, des discussions politiques et administratives (notamment la BCE pour convenir aux juges de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe : cf. article), auxquels on assiste désormais... Aux USA cependant, il resterait encore un tout petit peu de marge de manœuvre avec quelques ultimes baisses des taux pour arriver, comme la BCE, en territoire négatif, mais il est peu probable qu’elle opère avant les élections, en fin d’année, pour 1/ ne pas favoriser un candidat dans la dernière ligne droite, 2/ conserver quelques cartouches post-élections qui sont toujours un moment clé pour les marchés financiers américains.

Côté politique justement, l’évènement principal était européen ce mois-ci avec la ratification par les 27 de l’Union d’un budget européen, pour un montant de 750 milliards, soit environ 4% du PIB de la zone. Largement attendu par les marchés vu l’urgence de la situation, cette décision était déjà largement pricée dans les cours et, comme souvent, les opérateurs ont ‘vendu la nouvelle’ dans la semaine qui a suivi... Il a donc fallu que l’Europe connaisse sa pire crise économique depuis sa construction pour que soit voté un premier budget fédéral, certes modeste, mais qui a le mérite de prendre date. Ayant déjà été largement commenté, nous nous risquerons seulement à quelques commentaires sur le sujet :

1. Le montant est peu important puisqu’une fois signé, ce plan de relance pourra être largement réabondé en cas de besoin, et il est très probable qu’il le soit, comme tous les budgets publics de quasiment tous les pays de la Zone...

2. Les concessions faites aux fameux pays ‘frugaux’ sont uniquement politiques et n’ont que pour but que chacun des gouvernements locaux présents sauve la face et puisse, vis-à-vis de ses électeurs, annoncer que la négociation fut un succès.

3. Ce traité est une avancée significative vers une Europe plus fédérale (et donc des Etats ‘collectivités locales’), mouvement qui devenait capital au vu de la bipolarisation du monde, des distorsions croissantes entre les membres de la Zone, de la monnaie unique qui empêchait les banques centrales locales de piloter la valeur des devises locales et donc la valeur de l’endettement et la compétitivité. Les USA avaient, eux, réalisé ce premier budget entre 1789 et 1790, sous l’impulsion d’Alexander Hamilton, premier Secrétaire du Trésor.(https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2018/ 03/pdf/gaspar.pdf). Le budget fédéral américain représente aujourd’hui environ 20% du PIB, le chemin reste donc important mais, à la vitesse à laquelle les dirigeants européens sont capables de créer de nouvelles taxes et de lever de la dette, on peut imaginer un tel budget à horizon d’une ou deux décennies...

4. D’un point de vue financier, il sera intéressant d’observer que ces nouvelles obligations européennes, seules obligations publiques de la zone à détenir, pour le moment, la note AAA chez les agences de notation, pourraient devenir les nouvelles références du marché, ravissant à l’Allemagne le rôle de ‘benchmark’ qu’elle conservait depuis la création de l’Euro. Ainsi, actuellement, lorsque l’on souhaite calculer la prime de crédit (le spread) d’un émetteur par rapport au taux sans risque, toute la communauté financière ainsi que les outils qu’elle utilise (Bloomberg notamment) considère que le taux sans risque est celui de l’Allemagne. Cette approximation devrait se terminer bientôt et on pourrait observer, à l’échelle des grands investisseurs institutionnels mondiaux, le basculement d’une partie de leurs actifs ‘sans risque’ de la dette allemande vers la dette Européenne, dégradant modérément les niveaux de rendement germaniques, qui ne sera plus le titre sans risque de référence et pourrait, de facto, voir son rendement s’écarter. Jusqu’à présent, la convergence des rendements de la Zone Euro s’était faite, grâce à la BCE, par une baisse de ceux des pays périphériques, le prochain mouvement de convergence pourrait venir par une hausse progressive de ceux des pays cœurs. Vers une fin des taux 10 ans négatifs ?

Enfin côté marchés, nous nous contenterons d’insérer un graphique des performances obligataires sur le mois de juillet, qui montrera clairement l’appétit des investisseurs en ce mois de juillet, drivés :


1. par les injections massives de liquidités initiées par la BCE : en effet, si on doit répondre à la question ‘quel est le rendement d’un actif dans un monde de liquidités illimitées’ ? le raisonnement mathématique suggère la réponse ‘son rendement tend inexorablement vers zéro’. Logiquement donc, les actifs obligataires quels qu’ils soient ont repris la course vers le rendement zéro qu’ils avaient entamé depuis plusieurs années, avec en priorité les actifs court terme, comme nous l’avions suggéré en avril/mai et les actifs intégrés au programme de la BCE.

2. par l’attente de la signature du traité de dette fédérale comme une condition sine qua non au sauvetage de l’économie européenne.

Pour les jours à venir, cet élan devrait d’abord se tempérer du fait de l’épuisement des nouvelles macro- économiques d’un côté puis devenir plus sélectif au gré de la qualité des publications d’entreprises, la différenciation s’accroissant massivement dans les périodes de crise, comme on avait déjà pu l’observer au deuxième trimestre, à l’orée de la crise économique que nous vivons actuellement.

Fort de ces observations, nous poursuivons donc l’été avec le positionnement suivant :

✓ une part significative d’actifs de qualité (obligations d’Etat, entreprises « Investissement grade ») pour profiter de l’aspirateur BCE alors que les titres Haut Rendement ont perdu une part importante de leur prime et pourraient subir des déconvenues significatives lors des publications de résultats fin juillet/début août
✓ une absence quasi-totale des secteurs cités dans la première partie de cet hebdo, à l’exception de scénarios spécifiques, en particulier de soutien d’Etat fort comme pour Air France dans le tourisme qui a bénéficié de 7 milliards d’euros d’injections de liquidités
✓une focalisation sur les secteurs suivants : télécoms, services non cycliques, banques de réseau, utilities, secteur public, consommation non cyclique ou cycliques mais favorisés par la crise actuelle (aménagement d’intérieur par exemple)
✓ une diversification accrue des émetteurs
✓ un échéancier sensiblement raccourci par rapport aux mois passés pour désensibiliser le portefeuille au fil du resserrement des rendements et opérer un repositionnement sélectif durant la période des publications de résultats
✓ une poche haut rendement limitée aux sociétés très décotées et dont les scénarios spécifiques sont peu corrélés au marché
✓ une couverture partielle de la poche crédit pour ne s’exposer qu’à l’alpha des titres

Nous nous retrouverons donc maintenant à la rentrée pour notre présentation obligataire trimestrielle qui aura lieu le mardi 8 septembre à 17h00. N’hésitez pas à vous inscrire dès à présent au lien suivant : Je participerai au 73 boulevard Haussmann / Je participerai par Visio – conférence

Panorama estival des marchés de taux

 

Matthieu Bailly, Octo Asset Management 

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