Ces dernières semaines ont marqué une certaine accélération de la hausse des taux en Eurozone, sujet suffisamment rare et sensible pour s’y attarder un moment.

Ce premier graphe nous permet d’observer l’évolution du taux moyen européen (taux nationaux pondérés par les PIB) à 10 ans comparé au taux américain. Nous noterons ici trois points :

- Premièrement, la sortie de crise beaucoup plus rapide aux USA, accompagnée d’un rebond d’inflation temporaire, s’est évidemment accompagnée d’une hausse des taux longs plus précoce et plus significative outre-Atlantique.

- L’Eurozone, dont la sortie de crise commence à peine, semble voir actuellement un mouvement comparable sur ses taux, à ce qu’on avait observé entre janvier et mars aux USA. Notons d’ailleurs ici que s’il existe une corrélation sur quelques semaines, les mouvements récents à court terme démontrent au contraire que la hausse des taux européenne s’est faite à l’opposé de l’évolution des taux américains, plutôt en baisse ces derniers jours.

- L’écart de taux, symbole de l’écart de dynamisme économique s’est rapidement et significativement accentué, à peine quelques semaines après le pic de crise, ce qui démontre, encore une fois, la différence de capacité d’adaptation des deux zones… Et nous ne parlons pas ici de la Chine… A noter cependant que l’écart de taux reste inférieur à celui pré-crise, alors même que l’écart de conditions économiques semble pourtant plus large qu’il ne l’était. Cet écart de taux pourrait donc encore augmenter entre Eurozone et USA dans les mois à venir, probablement plus par une stabilité des taux européens dont la hausse nous semble ici plus réalisée par sympathie que pour des raisons économiques intrinsèques.

Depuis plusieurs mois, on entend que les taux grimperont à cause de rebond d’inflation à moyen terme, l’inflation étant, bien sûr, l’une des composantes des taux d’intérêt. Il peut donc être utile d’observer si les marchés ont, ces dernières semaines, augmenté leurs anticipations d’inflation pour contribuer effectivement à cette hausse de taux.

Ce graphe nous montre effectivement que les anticipations d’inflation du marché à horizon 10 ans ont rebondi plus haut que leur niveau pré-crise, aidées par les afflux de liquidités dont il est possible (mais pas obligatoire, loin de là !) de penser qu’elles créeront un surplus d’inflation… Notons cependant deux points :

-L’anticipation d’inflation, qui avait logiquement fondu au pic de la crise, s’est rétablie rapidement courant 2020, alors même que les taux ne grimpaient guère.
-Sur les dernières semaines de 2021, alors même que les taux bondissaient en Europe, les anticipations d’inflation semblaient plutôt légèrement refluer, ce qui ne suggère donc pas clairement un lien direct.

Enfin, il peut être intéressant d’observer plus précisément chaque pays européen, l’ensemble étant, somme toute, relativement hétérogène, que ce soit dans la situation économique de départ, dans la gestion de crise ou dans les perspectives. Voici donc le graphique des taux 10 ans nationaux.

Il convient ici de noter que, après une période de convergence des taux d’intérêts toute la seconde moitié de 2020, nous observons depuis quelques semaines un réécartement léger des taux ‘périphériques’ ou même français, dans une moindre mesure, par rapport au taux allemand.

Notons que ce type de mouvement s’opère généralement plutôt dans les périodes de stress et ne suggère pas que la hausse du taux vienne uniquement de l’inflation dans les zones les plus dynamiques mais aussi d’un écartement de spread des zones les plus défavorisées.

N’oublions donc pas que la BCE veille et qu’il est peu probable, alors même que l’Eurozone tente d’opérer une certaine solidarité entre ses membres et un soupçon de fédéralisme supplémentaire par la validation de budgets et de financement communs, que la BCE laisse filer ces taux trop longtemps sans augmenter quelque temps ses achats ou sans une communication adaptée. Comme nous le disions il y a quelques semaines, la crise dure et les banques centrales n’ont guère le choix que de jouer sur la longueur et de distiller très progressivement leur action, laissant aux marchés la volatilité.

Au sujet de cette solidarité de financement, notons ici un point relativement nouveau. Jusqu’à présent, pour calculer le ‘taux européen’, nous utilisions uniquement une moyenne pondérée des taux d’intérêts par l’importance du pays dans la zone, représentée par exemple par le PIB (cf. graphe ci-dessus).

Aujourd’hui, alors que les émissions directes de l’Eurozone deviennent plus massives, plus diversifiées et donc plus liquides, elles peuvent devenir un nouveau benchmark du ‘taux européen’ qu’il peut être utile d’observer si on part du principe qu’elles pourraient devenir à long terme, le benchmark de la BCE pour sa politique monétaire.

Rendement de l'obligation Union Européenne 0.75% 2030

Notons ainsi ici que les émissions de la Zone Euro sont, pour le moment, plus larges que le taux allemand, encore considéré comme la référence du taux sans risque, mais plus serrées que la moyenne des taux européens pondérés par le PIB (-0.06% versus +0.25%). Les zones relativement les plus endettées ayant le moins de PIB, une comparaison avec la moyenne pondérée par l’encours de dette augmenterait encore cet écart… Cette observation suggère ainsi que la notion de solidarité de fait entre les pays n’est pas encore totalement intégrée dans les prix et que les investisseurs préfèrent un prospectus clair détaillant que la Zone Euro paiera plutôt qu’un prospectus grec ou italien soumis au droit local et aux aléas politiques.

Notons enfin que, globalement, l’Eurozone gagnerait aujourd’hui à ‘fédéraliser’ totalement son financement plutôt que de laisser les pays se financer en appliquant ensuite un mécanisme plus ou moins clair de vases communicants entre banques centrales pour assurer l’équilibre.

Les obligations Eurozone seraient moins chères, plus liquides, plus simples, et donc plus attractives pour les investisseurs internationaux cherchant avant tout en Eurozone la sécurité. C’est ce qui fait toute la force des T-Bond américain et du dollar depuis des décennies.
 

Pour conclure, nous considérons que le mouvement de taux récent n’est pas clairement justifié par un changement de paradigme économique et monétaire mais l’est plus par un sentiment de marché perdurant depuis plusieurs semaines sur la crainte de hausse des taux et sur un différentiel de temps entre économie, banques centrales et marchés financiers.

Si les obligations ‘Eurozone’ restent à taux zéro à 10 ans, n’oublions tout de même pas que le fédéralisme n’est pas encore là et que l’Italie, la France ou l’Espagne doivent cette année émettre encore des centaines de milliards d’obligations. Gageons que la BCE considérera effectivement qu’il serait préférable de les émettre le plus proche possible de 0% que de subir une hausse des taux incontrôlée juste avant…

De plus, d’un point de vue plus financier, n’oublions pas que les actifs risqués ont tous connu un parcours de recovery massive depuis plusieurs mois, alors même que la situation économique ne s’est guère améliorée, voire a fortement empiré pour des pans sectoriels entiers et bon nombre de petites entreprises ne bénéficiant pas des liquidités faciles des marchés financiers. Les obligations d’Etat ont retrouvé, pour certaines un taux positif et une capacité d’absorption en cas de stress de marché et de flight to quality :  il peut donc apparaître opportun d’opérer quelques provisions pour un avenir encore bien incertain…

Matthieu Bailly, Octo Asset Management


dnca sommes nous a la veille d'un changement de cycle ?


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