Mise en cause du CGP intermédiaire en opération immobilière de défiscalisation, intervenant également en qualité d’IOB et de courtier d’assurance : prescription de l’action et précision sur ses obligations d’information et de conseil (17/02/2022).

Deux arrêts du 9 février 2022 de la CA d’AGEN se prononcent, tant sur le point de départ du délai de la prescription quinquennale de l’action en Responsabilité Civile Professionnelle d’un investisseur à l’encontre de son CGP que sur ses obligations d’information et de conseil, lorsqu’il intervient dans la cadre d’une opération de défiscalisation immobilière en qualité d’intermédiaire mais également d’IOB et de courtier d’assurance (CA AGEN, 9/02/2022, RG n°17/01488 et RG n°17/01476).

Les arrêts rendues lui ont été favorables ainsi qu’en 1ère instance même si l’analyse de la CA d’AGEN diffère de celle du TGI d’AGEN, sur certains points.

Dans la 1ère affaire (TGI AGEN, 26/09/2017, n°14/00843), le CGP avait, en qualité d’IOB, recherché les deux prêts in fine ayant permis de financer l’acquisition (ainsi que les travaux de rénovation) d’un appartement à usage locatif, bénéficiant du dispositif fiscal de la Loi MALRAUX.

Il avait également fait souscrire deux contrats d’assurance vie : l’un donné en garantie des prêts in fine et l’autre afin de se constituer une épargne.

Devant la baisse des marchés financiers et immobiliers, son client a cru bon l’assigner avec son assureur RCP, devant le TGI d’AGEN, invoquant un soi-disant manquement à ses obligations d’information et de conseil.

Il a été soulevé, avec succès, au soutien des intérêts du CGP, l’irrecevabilité de son action puisque diligentée plus de cinq ans après la signature des contrats de prêts, d’assurance vie et de la signature de l’acte de vente immobilière.

Le TGI d’AGEN, dans son jugement du 26 septembre 2017 avait accueilli la prescription, rappelant le principe selon lequel le dommage résultant d’un manquement à une obligation d’information et de conseil consiste en une perte de chance de ne pas contracter et se manifeste dès la conclusion des contrats, sauf si le souscripteur démontre qu’il a pu légitimement ignorer ce risque au moment de leurs signatures (par exemple, en l’absence d’informations sur le risque).

Aussi, s’agissant des reproches portant sur les contrats de prêts et d’assurance vie, les 1ers juges ont, selon la jurisprudence dominante, fixé le point de départ du délai de prescription, à la date de la réalisation du dommage, à savoir, la signature desdits contrats.

Pour l’investisseur, la prescription n’avait pu commencer à courir qu’au moment où il avait informé son CGP d’inadéquation de son opération de défiscalisation immobilière à ses objectifs. Cet argument a été balayé par le TGI d’AGEN puisqu’aucune preuve de l’ignorance de son dommage, à la date de la souscription, n’avait été rapportée.

S’agissant des griefs portant sur le bien immobilier acquis, le TGI d’AGEN a rappelé que lorsque le client reproche à son CGP une surestimation du prix d’acquisition, celle-ci ne peut s’apprécier qu’au regard du marché immobilier, au moment de l’achat de son bien.

Dès lors, le point de départ du délai de prescription ne pouvait être que la signature de l’acte de vente ; analyse totalement approuvée par la CA d’AGEN dans son arrêt confirmatif du 9 février 2022.

En revanche, s’agissant des demandes portant sur les contrats d’assurance vie, la CA d’AGEN a fixé le point de départ du délai de prescription, non pas à la date de signature des contrats comme l’avaient fait les 1ers juges, mais à la réception par le souscripteur des premières situations de contrats faisant état de moins-values.

Cette position de la CA d’AGEN diffère quelque peu de celle de la Jurisprudence dominante, par exemple de celle de la CA de VERSAILLES, dans un arrêt du 7/02/2019 : pour juger son action irrecevable, elle avait retenu que la souscriptrice avait été informée des risques de perte du capital dès la souscription : la réception de son relevé de compte faisant apparaitre la moins-value latente n’étant que la confirmation de l’effectivité de ce risque (CA VERSAILLES, 7/02/2019, n°17/02622).

Au surplus, la CA d’AGEN a ajouté que le souscripteur avait été clairement informé par son courtier, de manière de compréhensible, que ses contrats en UC pouvaient fluctuer à la hausse comme à la baisse. Elle a rappelé, dans le droit fil de la jurisprudence constante, qu’un contrat en UC ne consistait pas en un investissement spéculatif : le courtier n’était donc tenu à aucune obligation de mise en garde.  (même s’agissant d’EMTN voir CA de PARIS, Pôle 4, Chambre 8, du 9/03/2021 n°19/10565).

Dans la 2nde affaire (TGI AGEN, 26/09/2017, n°13/01911), dont les faits étaient quasiment identiques, le même CGP avait présenté un bien immobilier dans la cadre de la Loi de Robien et en Monuments Historiques, en avait trouvé le financement et avait fait souscrire à son client un contrat d’assurance vie. Un autre contrat d’assurance vie, souscrit antérieurement, directement auprès de l’assureur à l’époque où ce CGP y exerçait encore en qualité de conseiller salarié, avait été donné en garantie à la banque.

Comme dans la 1ère affaire, l’investisseur a assigné le CGP (ainsi que la banque) devant le TGI d’AGEN. Son action a également été jugée irrecevable à l’encontre du CGP, en application des mêmes principes.

Le TGI d’AGEN a en revanche considéré que la banque était fautive : elle n’avait pas rapporté la preuve d’avoir vérifié la capacité de remboursement de l’emprunteur (rugbyman professionnel dont la carrière était nécessairement de courte durée) et avait omis de le mettre en garde sur les risques d’un prêt in fine et sur la nécessité de sécuriser le contrat d’assurance vie donné en garantie ; l’opération dans son ensemble ayant été qualifiée de spéculative.

La banque a ainsi été condamnée à indemniser le préjudice moral de l’emprunteur qui n’a pas pu prouver l’existence d’un préjudice financier à savoir la perte de valeur de son bien immobilier.

La CA d’AGEN, dans son deuxième arrêt du 9 février 2022, a partiellement infirmé ce jugement. Selon elle l’action n’était pas prescrite mais infondée.

Pour infirmer partiellement le jugement entrepris sur la prescription, elle a suivi le raisonnement du souscripteur : il soutenait que son dommage consistait en la perte de rendement de son contrat d’assurance vie dont la valeur de rachat était insusceptible de permettre le remboursement du prêt in fine. Selon la CA, le dommage n’avait pu se manifester qu’au terme de son contrat de prêt.

Cette position de la CA d’AGEN est conforme à la Jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci retient que lorsque la valeur de rachat du contrat nanti ne permet pas de rembourser le prêt in fine ayant financé l’acquisition du bien, le dommage ne peut se constater qu’au terme du prêt (Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 mars 2021, 19-20.697).

Sur le fond, la CA d’AGEN a jugé qu’aucune faute ne pouvait être imputée au CGP. L’objectif de défiscalisation de son client avait été atteint : il avait économisé 107.000 € d’IRPP, et était propriétaire d’un bien immobilier évalué en cours de procédure entre 160.000 € et 180.000 € (même si le prix d’acquisition était de 83.000 € augmenté de 268.000 € de travaux).

S’agissant des griefs reprochés au CGP en sa qualité de courtier, l’absence de rendement du contrat nanti ne pouvait lui être reprochée car il n’avait pas été souscrit par son intermédiaire (malgré la confusion entretenu par le souscripteur sur ce point).

En outre, la CA d’AGEN a constaté que le CGP ne disposait d’aucun mandat de gestion tant sur le contrat souscrit par son intermédiaire que sur ceux souscrits précédemment.  Aucune faute ne pouvait lui être imputée même si le rendement des unités de compte préconisées avait été moindre qu’espéré.

S’agissant des deux contrats les plus anciens, il a été rappelé l’absence de lien de causalité entre les pertes subies, dues à la crise des subprimes, et la faute reprochées au CGP. La Cour a fait remarquer que le souscripteur n’avait pas précisé s’il avait pu ou non rembourser la dernière échéance de son prêt in fine arrivé à terme en cours de procédure et n’avait pas non plus communiqué la valeur de rachat de ses contrats d’assurance vie.

Le jugement entrepris a été infirmé sur les condamnations prononcées à l’encontre de la banque, finalement exemptée de toute faute. La banque, qui n’avait pas présenté l’opération immobilière de défiscalisation, a pu démontrer s’être renseignée sur la situation patrimoniale de son client, dont les revenus permettaient de rembourser les mensualités de l’emprunt.

L’emprunteur était certes en fin de sa carrière de sportif professionnel mais il ne pouvait en être déduit qu’il serait, par la suite, sans revenus. Il pouvait réaliser des arbitrages afin de modifier son allocation d’actifs en fonction de l’évolution des marchés financiers et selon la CA d’AGEN, seule la banque, créancière nantie, aurait pu déplorer d’avoir eu en garantie un contrat en UC susceptible d’évoluer à la baisse.

Enfin, elle confirme l’absence d’opération spéculative et par conséquent, l’absence d’obligation de mise en garde de la banque (contrairement à ce qu’avaient retenu les 1ers juges pour la condamner).

En conclusion

 Ces deux arrêts favorables aux professionnels de la gestion de patrimoine ne doivent pas, pour autant, faire oublier que les CGP ne doivent pas se contenter de remettre les documents établis par leurs partenaires. Il est nécessaire de justifier de l’adéquation de l’opération proposée dans un document spécifique établi par se ses soins, contresigné par son client afin de présenter de manière claire et compréhensible tous les risques inhérents à l’investissement envisager.

Nous conseillons toutefois, une vigilance particulière, à l’égard de clients ayant une perspective de carrière courte (tels que les sportifs de haut niveau…) et de clients vulnérables, compte tenu d’une Jurisprudence fluctuante et divisée.

Quant à la sélection, en amont, des produits proposés à la clientèle, il ne faut pas oublier de conserver soigneusement toutes les étapes de sélection de ses partenaires commerciaux pour faire face à un grief répandu de ne pas avoir apporté suffisamment de soin à la sélection des produits (reproche souvent repris par les Juridictions pour justifier les condamnations à des dommages et intérêts).

 

Me Dounia HARBOUCHE – Avocate au Barreau de PARIS

 

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