Connaissez-vous les Hénokiens, ce club si sélectif qu’il ne compte pas plus de quarante-neuf entreprises membres dans le monde ?

Anne de Lanversin

Cette association internationale, créée en 1981 par le PDG de Marie Brizard, tire son nom d’Hénok, patriarche biblique qui vécut 365 ans, arrière-grand-père de Noé, père de Mathusalem. Les Hénokiens regroupent ainsi les entreprises familiales bicentenaires et prônent la valeur du concept de l’entreprise familiale, alternative aux multinationales.

Parmi ces entreprises à la longévité prodigieuse (au moins deux cents ans donc !), dont le capital doit être majoritairement familial, la direction effective aux mains d’un de ses membres, les français arrivent en nombre avec quinze membres, suivis des italiens (douze), japonais (neuf), allemands (quatre), suisses (trois), hollandais (deux), belges (deux), un anglais et un autrichien.

Certains secteurs sont très bien représentés : Les banques (Hottinguer, Lombard Odier & Cie, Pictet & Cie, C. Hoare & Co, Les Fils Dreyfus & Cie). Les vins et spiritueux (liqueurs De Kuyper, champagne Billecart Salmon, eau-de-vie italiennes Nardini, alcools de Fried. Schwarze, saké Gekkeikan, tonnelleries Garbellotto, entreprises viticoles italiennes Guerrieri Rizzardi et françaises Hugel & Fils ou encore Louis Latour).

L’art de vivre au travers de la gastronomie (pâtisseries japonaises Toraya ou italiennes Di Leo Pietro, thé vert Yamamotoyama, réglisses calabraises Amarelli et sauces soja Yamasa) ou de la Joaillerie (MELLERIO dits MELLER, dernière maison française indépendante de Haute Joaillerie et Köchert, joaillier des Habsbourg).

Annotation 2020 03 31 091519

Quel exploit pour ces entreprises d’avoir su garder leur indépendance au fil des successions, d’avoir survécu à des révolutions et des crises financières !

Mais qu’ont-elles à enseigner aux autres entreprises, ces entreprises familiales bicentenaires ?

Elles inscrivent dans le temps une gestion entre modernisme et tradition, une capacité d’adaptation et d’innovation, des marques fortes avec un savoirfaire unique qui se transmet de génération en génération (les porcelaines Revol, les éditions musicales Henry Lemoine, l’armurerie italienne Beretta, les soieries Jean Roze…), une forte culture d’entreprise tissée autour d’un référentiel de valeurs fédératrices qui permet un affectio societatis que l’on trouve rarement dans une société aux capitaux entièrement publics, où l’actionnariat n’est pas incarné.

Grâce à un fort ancrage territorial, elles créent souvent un impact social et économique positif en préservant l’emploi de leur région, ce qui leur permet de perdurer avec une solide productivité et une pérennité organisationnelle (à l’égard de leurs employés et partenaires commerciaux) qui leur est propre.

Il est intéressant de noter que parmi ces quaranteneuf Hénokiens, trois groupes seulement ont des activités cotées en bourse : D’Ieteren (holding belge fondée en 1805 qui est investie dans des activités d’importation et de distribution automobile et possède, notamment, les marques Carglass® et Moleskine®), Okaya (groupe industriel japonais fondé en 1669) et enfin Etablissement Peugeot Frères (maison-mère fondée en 1810 des deux entités françaises cotées, la holding FFP et le constructeur Peugeot).

Annotation 2020 03 31 092310

Pourquoi si peu d’Hénokiens sont-ils cotés en bourse ? La bourse serait-elle un obstacle à la poursuite de l’indépendance familiale ?

Parmi les grandes capitalisations boursières, nous avons, au sein-même du CAC 40, quelques beaux exemples d’entreprises familiales avec notamment LVMH, L’Oréal, Dassault Systèmes ou Hermès. Néanmoins, c’est davantage par leur poids capitalistique (LVMH est le premier poids du CAC 40 depuis mai 2017, représentant plus de 8 % de l’indice) que par leur nombre qu’elles sont bien représentées dans l’indice français. À l’inverse, de grands groupes français comme Andros et Auchan, détenus et dirigés respectivement par les familles Gervoson et Mulliez, sont de parfaites illustrations de sociétés familiales s’épanouissant loin des radars des marchés financiers.

Il semble en être différemment du côté des petites et moyennes entreprises, le nombre d’entreprises familiales cotées est conséquent, c’est une véritable option de choix pour elles à un certain stade de leur développement. Cela serait donc au risque de perdre un jour leur indépendance si l’on en juge le plus faible ratio de grandes entreprises cotées encore familiales ?

Très souvent, les familles cotant leurs entreprises en bourse s’arrangent pour garder au moins une minorité de blocage pour éviter toute OPA hostile et garder les rênes du conseil d’administration. Pour autant, la principale raison de sortie de cotation est un rachat par un concurrent de plus grande envergure, la famille décidant de vendre l’entreprise faute d’héritier ou face à une proposition financière très attractive.

Ainsi, à l'échelle mondiale, moins de 30 % des entreprises familiales le demeure encore après la troisième génération ! D’ailleurs, être coté semble faciliter la cession de l’entreprise car la bourse offre un rayonnement national voire international permettant à de potentiels acquéreurs d’avoir accès à davantage d’information sur la société. De plus, en cotant leur société en bourse, les familles ont déjà franchi une étape majeure en ouvrant une partie de leur capital à des investisseurs publics…

Les entreprises familiales, championnes de la création de valeur boursière?

En effet, elles semblent performer mieux sur le long terme même s’il existe des contre-exemples. L’inertie dont peut parfois faire preuve la direction d’un groupe face à de graves manquements opérationnels ne pourrait-elle être mise sur le compte d’une trop forte complaisance des actionnaires familiaux avec le management, souvent un des leurs ? Dans de tel cas de crise organisationnelle, un conseil d’administration d’une entreprise non familiale semble parfois faire preuve de davantage de pragmatisme dans ses initiatives pour adresser rapidement les problématiques…

Néanmoins, à quelques exceptions près donc, la vision stratégique des entreprises familiales est un réel atout : la nature familiale de leurs capitaux leur confère une indépendance bénéfique pour une poursuite d’objectifs long terme de transmission de l’entreprise, plus éloignés de ceux, court-termistes, dictés par les marchés financiers. En effet, dans leur processus de décision, les entreprises familiales se projettent à un horizon long terme, ce qui se matérialise notamment par des montants d’investissements d’équipements supérieurs à leurs dépréciations comptables, des budgets recherche et développement (dépenses long terme par nature) conséquents et un réinvestissement des flux de trésorerie dans l’opérationnel plutôt que de les retourner aux actionnaires (via des rachats d’actions ou dividendes)…

Annotation 2020 03 31 092339

Nous constatons également que les entreprises familiales ont une approche plus disciplinée en matière d’allocation de leur capital, que leur gestion patrimoniale est plus défensive, qu’elles sont plus réticentes à prendre des risques opérationnels et financiers ce qui peut expliquer le fait que leurs performances sont plus stables voire meilleures.

Quid de leur valorisation boursière ? Les AngloSaxons font souvent référence au « family business premium », autrement dit à la prime des entreprises familiales par rapport aux autres. Elles sont, en effet, souvent considérées comme des sociétés de qualité grâce à leur actionnariat stable et leur profil de risque plus défensif : leurs qualités intrinsèques sont donc plébiscitées par les investisseurs qui n’hésitent donc pas à payer une prime pour les détenir.

Annotation 2020 03 31 092508

Néanmoins, leur valorisation dépendra également de leur transparence et de l’accès des investisseurs au top management : les entreprises communiquant peu ou a minima se traiteront avec une décote, tout comme celles dont la gouvernance laisse à désirer. Les investisseurs sont en droit d’attendre une gouvernance exemplaire et un traitement des minoritaires pari passu, le principe primant étant « une action une voix ». Ce qui n’est pas le cas de plus de 20% des entreprises familiales cotées qui usent (et abusent) d’actions préférentielles à droit de vote double, spécialité des groupes allemands et suisses !

Quoi qu’il en soit, les analyses de performances boursières sont unanimes concernant la surperformance à long terme des entreprises familiales : la banque Credit Suisse a calculé, via un indice composite regroupant 226 entreprises familiales européennes de toutes capitalisations, qu’elles surperformaient leurs pairs locaux d’environ 4,74 % par an depuis 2006 ! À l’échelle mondiale, celles familiales de petites capitalisations surperforment tous les ans les petites capitalisations non familiales de 7,6 % !

Cela étant, les entreprises familiales ne sont pas forcément le meilleur investissement pour des spéculateurs en quête de profits rapides mais doivent plutôt être considérées comme des investissements à long terme. Il est cohérent que les perspectives de gain soient envisagées avec un horizon long terme puisque ces entreprises se préoccupent généralement moins du trimestre en cours que du prochain quart de siècle, moment où la génération suivante prendra le relais !

Clémence de Rothiacob, Fund Manager


dnca sommes nous a la veille d'un changement de cycle ?

 

Pour accéder au site, cliquez ICI.