Annoncée et effective depuis plusieurs années, la baisse régulière des performances du fonds euro, tous assureurs confondus, a pris un virage serré en 2020. Certains parlent de révolution dans le paysage immuable de l’assurance-vie, placement préféré des Français. Le restera-t-il longtemps ? La profession de CGP va tendre vers plus de pédagogie vis-à-vis des clients souvent mal informés et que des années d’épargne «facile» ont mal habitués à une prise de risque opportune et salutaire pour lutter contre une rémunération immanquablement négative (du fait de l’inflation) du fonds euro. Pour apporter un éclairage sur le sujet, Repères donne la parole à deux professionnels confirmés. 

Anne de Lanversin

Avec les limitations d’investissement imposées sur les fonds euro, l’accès à ce produit garanti en capital mais moins rémunéré est très souvent conditionné par la souscription d’unités de compte, non garanties mais mieux rémunérées. N’existe-t-il pas un risque de conflit d’intérêts pour les CGP ?

Bernard Delas : Avec le niveau actuel des taux sans risque, il est devenu impossible pour un assureur d’offrir un produit à la fois liquide, garanti en capital et assorti de rendements élevés. Les assureurs sont donc conduits à proposer à leurs clients de nouvelles offres. Cette évolution doit bien évidemment être menée dans le respect du droit applicable aux contrats d’assurance vie et à leur commercialisation.

Certains assureurs conditionnent les versements sur des produits adossés à leur fonds euro à un investissement en unités de compte. Cette exigence de l’assureur, qui est de plus en plus fréquemment observée sur le marché, s’impose aux distributeurs. Elle n’a pas à elle seule pour effet de les placer en situation de conflit d’intérêts mais ils doivent expliquer à leurs clients les raisons pour lesquelles ce contexte de taux d’intérêts très bas est à l’origine de ces nouvelles exigences. Ils sont par ailleurs tenus à un devoir de conseil et doivent s’assurer que le produit et les supports en unités de compte proposés à un client sont adaptés à sa situation financière, à ses objectifs d’investissement et à ses connaissances en matière financière. La proportion de l’investissement à réaliser en dehors du fonds euro ou les caractéristiques de la sélection des unités de compte proposées peuvent ainsi ne pas convenir aux exigences de certains clients ou à leur profil de risque. En outre, les CGP travaillent en général avec différents assureurs qui n’ont pas tous la même politique commerciale et les mêmes exigences en termes de diversification des supports d’investissement. Rappelons aussi que le produit Eurocroissance peut désormais être proposé dans une version simplifiée que les distributeurs pourront plus facilement s’approprier. C’est une option intéressante pour répondre aux attentes d’une partie de la clientèle dès lors qu’elle est prête à prendre un risque mesuré en contrepartie d’une espérance de rémunération améliorée et de la garantie à terme du capital investi.

Au total, lorsque le distributeur a pris le temps d’écouter effectivement les besoins de son client et rempli toutes les exigences du devoir de conseil, il peut être judicieux de lui conseiller d’investir dans des produits présentant une part de risques. En effet, en tendance, la rémunération des produits euros est durablement orientée à la baisse et il n’est pas nécessairement pertinent de les proposer comme support exclusif de placement de leur épargne à des clients bien informés et qui ont pris leur décision d’investissement en toute connaissance de cause.

Face à la baisse des taux, quelle solution alternative « sécuritaire » proposez-vous en remplacement du fonds euro, qui ne tient plus ses promesses de rémunération ?

Daniel Collignon : La baisse des taux a une double conséquence sur le bilan solvabilité 2 des assureurs : elle augmente le besoin en SCR (fonds propres minimaux) et diminue les fonds propres effectifs (qui incluent la valeur de leurs portefeuilles de contrats, négative pour leurs fonds euro). C’est pourquoi nous allons proposer, comme sans doute d’autres assureurs, un nouveau fonds euro à moindre garantie (98% par exemple). Parallèlement, nous allons créer un fonds « croissance », tel que modifié par la loi Pacte : en fait, une UC avec un capital garanti au terme de huit ans, investie en placements très diversifiés, avec une recherche de performance élevée, mais faiblement volatile (placements non cotés).

Enfin, à côté d’une gamme d’UC immobilières déjà très fournie, nous allons élargir notre offre en Private Equity, en produits structurés et en gestions pilotées.

Nos partenaires pourront ainsi proposer à leurs clients, soit du fonds euro avec performance limitée (autour de 1%), soit une UC avec valeur garantie (80% à 8 ans, avec une cible de rentabilité de 4%), soit une large gamme de produits structurés, soit enfin « toutes » les UC pouvant répondre à leurs objectifs, avec l’option aujourd’hui sous-utilisée (malgré de belles performances) de la gestion pilotée.

Considérez-vous que la situation actuelle de taux négatifs est de nature à fragiliser les compagnies d’assurance ?

Bernard Delas : Un environnement de taux durablement aussi bas et souvent négatifs est une situation inédite. Les assureurs, en particulier ceux dont les engagements sont les plus longs, doivent s’adapter à ce nouveau contexte très contraignant pour eux puisqu’il se traduit par une baisse continue du rendement de leurs actifs. Le revenu financier qu’ils en tirent doit en effet leur permettre à la fois de tenir leurs engagements vis-à-vis de leurs clients et de garantir leur solvabilité. C’est une situation qui n’est pas facile à gérer car la recherche d’un meilleur rendement ne doit pas s’accompagner d’une prise de risque excessive qui fragiliserait leur structure financière.

Les assureurs français disposent toutefois d’atouts pour relever ce défi. Ils sont bien capitalisés et disposent en outre de réserves. Ils ont en effet constitué au fil du temps une importante provision pour participation aux bénéfices qu’ils pourraient utiliser immédiatement pour maintenir la rémunération de leurs contrats dans le scénario toujours le plus redouté d’une brutale remontée des taux. Par ailleurs, en France, les taux garantis sont faibles si on les compare à ceux observés sur les marchés voisins. Les assureurs français ont ainsi montré, lors des stress tests européens réalisés en 2018, qu’ils résistaient bien à un environnement de taux très bas ou négatifs.

Le secteur de l’assurance, qui est soumis à un contrôle très strict de l’ACPR, est par conséquent tout à fait à même de faire face, à court ou moyen terme, aux effets de cet environnement de taux très bas. Son modèle d’affaires actuel ne serait toutefois pas soutenable si les taux devaient demeurer aussi bas à long ou très long terme. Les assureurs disposent donc du temps nécessaire pour s’adapter mais ils doivent impérativement initier rapidement les transformations nécessaires en faisant progressivement évoluer leurs gammes de produits. Le produit euros sera demain moins central dans l’offre des assureurs. D’autres produits apparaîtront qui répondront à une demande du marché qui va elle-même évoluer. Il s’agira demain de satisfaire à la fois le besoin de sécurité des épargnants et une espérance de rémunération à laquelle ils ne peuvent pas durablement renoncer. Cette évolution prendra du temps et nécessitera beaucoup de communication et de pédagogie auprès des épargnants. Le rôle de conseil des CGP qui sont en relation directe avec leurs clients est à cet égard essentiel. Il leur appartient d’accompagner cette réorientation de la demande du marché.

Selon vous, le contrat d’assurance- vie va-t-il rester le placement préféré des Français ?

Daniel Collignon : Le contrat d’assurance-vie va rester unique comme produit d’épargne pour les Français. Tout d’abord, même si ses conditions ne sont plus aussi favorables qu’auparavant, le fonds euro continuera à être proposé, et dépassera en performance tous les placements dits sécuritaires aujourd’hui disponibles (livrets, comptes à terme, etc.)

Ensuite, l’assurance-vie reste une formidable enveloppe fiscale, la seule à proposer un fonds euro, mais aussi la possibilité d’y voir cohabiter de l’immobilier non coté, du Private Equity, toutes formes de placements financiers disponibles sur le marché, des produits structurés, et demain des fonds internes (fonds croissance ou autres). Sans oublier de multiples garanties de prévoyance, garanties plancher, de bonne fin, de rentes, etc.

Enfin, la masse d’épargne constituée, le nombre d’assurés, créent un penchant naturel vers ce type de support, qui a toujours apporté satisfaction aux épargnants concernés. 

Bernard Delas, Vice-Président de l’ACPR et Daniel Collignon, Directeur général de SPIRICA

 

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