Alors que 2021 touche à sa fin, les marchés se situent à un tournant. De plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en question la nature réellement transitoire de l’inflation. Des incertitudes entourent également la trajectoire de la croissance économique et la capacité des marchés actions à continuer à enchaîner de nouveaux sommets. Quatre spécialistes Vontobel de l’investissement exposent les défis à venir et évoquent les options qui s’offrent à présent aux investisseurs en actions et en obligations. Pour saisir les opportunités que 2022 leur réserve, les investisseurs devront trouver le bon dosage entre prudence et appétit pour le risque.

Christel Rendu de Lint, Deputy Head of Investments, Vontobel : Aux Etats-Unis, l’inflation se situe autour de 6,2%, un niveau qui n’avait plus été observé depuis les années 1980. Comment vont évoluer, à votre avis, l’inflation et le cycle économique ?

Mark Holman, CEO de la boutique TwentyFour Asset Management de Vontobel, Portfolio Manager : L’inflation a déjoué toutes les prévisions élaborées l’an dernier, même les plus agressives : les niveaux sont nettement plus élevés qu’attendu et la hausse des prix s’avère finalement plus tenace. Plus important encore, l’inflation se situe au-delà des niveaux qui conviennent aux banques centrales d’une manière générale. La Fed fait clairement de l’emploi sa priorité et elle est prête, dans cette optique, à fermer les yeux sur

Mondher Bettaieb Loriot, Head of Corporate Bonds, Vontobel : En ce qui concerne les obligations d’entreprises, nous demeurons relativement confiants dans la mesure où les indicateurs suggèrent une inflation transitoire. Soyons clairs, le terme « transitoire » - au sens où l’entend le président de la Fed Jerome Powell - signifie que les niveaux d’inflation actuels n’auront au final pas d’incidence durable et ne modifieront pas la trajectoire de la faible inflation, voire de la désinflation, que nous avons connue ces 25 dernières années.

Christel Rendu de Lint : Matt, quelles sont les implications pour les actions ?

Matthew Benkendorf, Chief Investment Officer, boutique Quality Growth, Senior Portfolio Manager, Vontobel : La patience est de mise, même si les investisseurs en actions font généralement preuve de nos jours d’une certaine impatience. Je penche pour la thèse de l’inflation transitoire, car c’est bien dans ce sens que s’orientent la majorité des éléments. Il appartient à ceux qui défendent le scénario d’une inflation non transitoire de nous prouver le contraire.

Christel Rendu de Lint: Dan, à quel point êtes-vous patient s’agissant de l’inflation ? Et comment positionnerez-vous votre portefeuille dans le contexte d’une solution multi-actifs ?

Dan Scott, Chief Investment Officer, Head of Impact & Thematics, Vontobel : Je suis assez patient. Que l’inflation soit transitoire ou non, nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle s’avère plus tenace que nous ne le pensions il y a 12 mois de cela. Ce qui importe, c’est que les banques centrales ont fait savoir qu’elles ne réagiraient pas dans l’urgence. Elles veulent en fait que la reprise du marché de l’emploi soit plus ferme, dans la mesure où les salaires réels et les chiffres absolus de l’emploi ne sont pas encore revenus aux niveaux observés avant le Covid.

Dans cet environnement caractérisé par des taux relativement bas, nous nous tournons vers les actions pour obtenir des rendements et vers d’autres classes d’actifs pour contribuer à amortir la volatilité. Nous ne nous attendons pas à ce que le crédit investment grade ou les obligations d’Etat dégagent des rendements importants, même si nous percevons quelques opportunités sur le marché de la dette des marchés émergents (libellée en devise forte).

Matthew Benkendorf : La forte performance des marchés actions a été tirée par la confiance, les investisseurs ayant choisi de se concentrer sur le côté positif de signaux pourtant contradictoires. Les banques, par exemple, ont connu une année faste du fait des anticipations de pentification de la courbe des taux, mais cela ne concorde pas avec les valorisations élevées de nombreuses entreprises à forte croissance et non rentables. Nous tablons sur un regain de volatilité et d’incertitude, quand bien même nous parviendrions à sortir de la crise sanitaire. Les investisseurs doivent cesser de se concentrer sur le court terme, par exemple sur la prochaine introduction en bourse médiatisée, et se rappeler que l’investissement exige de la patience et du temps. L’éventail des scénarios possibles est beaucoup plus large que ce à quoi les investisseurs se préparent actuellement. La fête continue, mais je conseille aux investisseurs de consommer avec modération.

Christel Rendu de Lint : Mark, comment envisagez-vous les portefeuilles obligataires dans l’immédiat ?

Mark Holman : Je ne suis pas totalement convaincu par la thèse de l’inflation transitoire. Il existe suffisamment d’éléments suggérant que l’inflation va perdurer. Les anomalies que nous observons aujourd’hui - 6% de croissance, 6% d’inflation et les niveaux actuels des rendements obligataires - ne sont pas viables. Et l’inflation est actuellement en train de grignoter la richesse.

Jamais auparavant nous n’avions eu autant d’interventions gouvernementales et d’assouplissement quantitatif, ni des taux d’intérêt aussi bas. Nous pensons que la Fed commencera à durcir sa politique monétaire plus tôt que ne le pensent les investisseurs en 2022, probablement au milieu de l’année. Mais dans de nombreux cas, le cycle sera le même que par le passé. Il y aura des pressions en faveur de taux d’intérêt plus élevés, ce qui tend à se traduire par des rendements supérieurs. Mais les sommets ne seront atteints que bien après le début du cycle de hausse des taux.

Les produits obligataires vous donnent accès à de nombreux secteurs et zones géographiques, mais les portefeuilles ont tendance à se concentrer soit sur les emprunts d’Etat, soit sur les obligations d’entreprise. Un portefeuille d’emprunts d’Etat sans couverture pourrait poser problème, de sorte que les investisseurs devraient se couvrir s’ils en ont la possibilité. Si tel n’est pas le cas, ils doivent diversifier leur portefeuille en profitant de la grande diversité de l’univers obligataire.

Cela fait plus de 30 ans que j’investis sur les marchés obligataires et les fondamentaux des obligations d’entreprise m’ont rarement paru aussi favorables. Ils justifient les valorisations. Dans le segment du haut rendement américain, le taux de défaut, à moins de 1%, est tout bonnement stupéfiant, et il en va de même en Europe. Les taux de défaut évolueront très lentement et il y aura probablement plus de révisions à la hausse qu’à la baisse des notes de crédit. Cela dit, je pense qu’en 2022 les choix de titres seront limités. Les investisseurs devraient pouvoir s’exposer dans une certaine mesure au risque de crédit, mais devraient également aborder l’année à venir avec beaucoup de lucidité - comme Matt l’a précisé à juste titre, il faut consommer avec modération.

Christel Rendu de Lint : Mondher, dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par le risque d’une erreur politique de la part de la Fed ? Et quelles sont vos prévisions pour les marchés obligataires ?

Mondher Bettaieb Loriot : En toute franchise, je ne suis pas inquiet. Malgré la publication de quelques statistiques d’inflation élevées, le mystère reste entier : les rendements réels sont toujours négatifs. Nous traversons une révolution numérique, avec une population vieillissante et des niveaux d’endettement croissants, qui sont autant de phénomènes perturbateurs. Les banquiers centraux n’ont pas d’autre choix que de se montrer patients, même si les chiffres d’inflation sont élevés. Il faut remonter à la guerre civile aux Etats-Unis, ou à la Grande Dépression, pour trouver des événements ayant occasionné des rendements aussi négatifs. C’est assez inédit. Nous restons néanmoins satisfaits du cadre fourni par les banquiers centraux.

Je ne serais pas surpris que les rendements des emprunts d’Etat aient encore baissé d’ici la fin de l’année prochaine. Selon les prévisions du consensus, la croissance devrait se situer fin 2022 autour de 2% - soit son niveau d’avant la pandémie - tandis que l’inflation devrait elle aussi être revenue autour de 2% d’ici là. Nous sommes par ailleurs relativement loin du plein emploi, de sorte que le scénario de base table sur un premier relèvement des taux de la Fed en 2023. Et une fois le cycle débuté, les hausses de taux ne seront pas importantes. Le contexte reste ainsi favorable aux obligations d’entreprises investment grade. Les spreads sont peut-être un peu étroits, mais ils sont justifiés par le faible niveau des taux de défaut. De plus, les obligations d’entreprises ont tendance à se montrer beaucoup moins volatiles que les autres actifs à risque.

Des opportunités très intéressantes subsistent, comme les obligations AT1 des banques, les émissions subordonnées des compagnies d’assurance, les titres hybrides d’entreprises et les obligations notées BB. Et il ne faut pas oublier les obligations d’entreprises investment grade périphériques, qui rémunèrent un peu mieux le risque. Le portefeuille de la BCE reste bien garni et la banque centrale achète toujours les titres des pays périphériques lorsqu’ils sont en difficulté. Donc, bien sûr, il y a du bruit, mais les obligations d’entreprises sont un peu moins volatiles, et le scénario de base semble être acceptable.

Christel Rendu de Lint : Cela fait longtemps qu’il ne s’est pas passé grand-chose sur les marchés des changes mais ils semblent s’être réveillés en cette fin d’année. Dan, quel est votre point de vue à ce sujet ?

Dan Scott : Face à l’accumulation de la dette, la solution consiste à recourir à l’inflation. De ce point de vue, les banques centrales se livrent à une course vers le bas. Il existe ensuite une poignée de monnaies refuges qui sont des « gagnantes » relatives. Selon nos modèles financiers, l’euro est fondamentalement sous-évalué. Toutefois, nous évoquons la nécessité d’une réforme structurelle en Europe - dans des domaines tels que les marchés du travail et les régimes fiscaux - depuis bien avant la crise financière mondiale, et rien ne s’est produit. Cette situation ralentit la croissance en période de reprise et explique le niveau inférieur de la croissance européenne vis-à-vis de son homologue américaine.

Nous appliquons une double surpondération des actions américaines, car nous avons le sentiment que la croissance des bénéfices des entreprises américaines compense très largement tout affaiblissement du dollar américain pondéré des échanges commerciaux. Dans le cas des investisseurs qui optent pour des portefeuilles multi-actifs, le change ajoute une couche supplémentaire de complexité. Il ne faut cependant pas oublier que rester investi est le meilleur moyen de se protéger de la dévaluation de la richesse qui survient pendant ces périodes inflationnistes.

 

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