Après 2022, une annus horribilis pour les marchés financiers, les perspectives macroéconomiques pour 2023 avaient fait l’objet d’un fort consensus, la plupart des opinions prévoyant une nette amélioration de la situation l’année suivante, sur fond de baisse des taux par les banques centrales et de performances positives aussi bien des emprunts d’État que du crédit.
En début d’année, cet optimisme paraissait justifié, le rebond entamé au dernier trimestre de l’année 2022 s’étant poursuivi tout au long du mois de janvier. Toutefois, la crise bancaire régionale aux États-Unis et l’effondrement du Credit Suisse en Europe ont rapidement miné le moral des investisseurs. Au fil des mois, les banques centrales ont poursuivi leur lutte contre l’inflation, répétant sans relâche et avec insistance leur credo de maintenir les taux d’intérêt «plus élevés plus longtemps». Cette rhétorique a eu un impact négatif sur les emprunts d’État, qui ont à leur tour plombé les performances des obligations sur une grande partie de l’année.
Les flux vers les obligations en ont également fait les frais, la volatilité des taux incitant les investisseurs à rester assis sur le banc de touche malgré les rendements intéressants offerts.
En dépit de ces éléments négatifs, de nombreux secteurs du crédit sont parvenus à générer des rendements positifs cette année, grâce notamment à des rendements initiaux élevés et à un portage considérable, qui ont contribué à absorber les événements macroéconomiques négatifs.
À l’approche de l’année 2024, les rendements initiaux conservent selon nous tout leur attrait et sont, dans la plupart des cas, encore plus intéressants que début 2023. Dans une ambiance où règne l’espoir que les taux de base aient atteint leur pic, la confiance est grande que l’année à venir pourra générer des rendements plus élevés.
La synchronisation de l’évolution des baisses des taux de base, les rendements des emprunts d’État et les spreads de crédit devraient avoir un impact majeur sur le positionnement des gestionnaires d’actifs l’année prochaine. Nous pensons que les taux vont ouvrir la voie, l’espoir d’un atterrissage en douceur de type Boucle d’or cédant la place à la crainte d’un ralentissement économique et de baisses de taux par les différentes banques centrales. Si l’économie ralentit comme nous le prévoyons, nous devrions assister à un élargissement des spreads dans l’ensemble du secteur du crédit. Une telle évolution devrait créer des conditions opportunes à l’enregistrement de bénéfices sur les taux et à l’accroissement des positions de crédit, pour lesquelles les obligations offrent actuellement des opportunités de rendement intéressantes.
Comme d’habitude, nous allons commencer par revenir sur les prévisions de l’année dernière. Malgré une grande volatilité, un grand nombre de secteurs ont confirmé ce que nous avions prévu. Malgré tout, comme on pouvait s’y attendre, d’importantes divergences ont été constatées dans d’autres domaines.
Aux États-Unis, nous avions prévu un relèvement des taux de base à 4,5 % en décembre, avec un pic entre 4,5 et 5 %. Sans penser à un changement de cap de la Réserve fédérale, nous pensions que l’anticipation de baisses de taux en 2024 permettrait aux obligations à dix ans de terminer l’année 2023 à environ 3,75 %. Le Royaume-Uni était encore en train de se rétablir de son catastrophique mini-budget du mois de septembre. Toutefois, avec des taux à 3 %, nous pensions que la Banque d’Angleterre procéderait à de nouveaux relèvements à hauteur de 100 pb et que les obligations à dix ans grimperaient à près de 4 %. Dans la zone euro, qui était confrontée à la perspective d’un rationnement énergétique et d’une récession, nous avions prévu que la Banque centrale européenne relèverait les taux de 150 pb supplémentaires à 3 %. Vu le contexte économique, l’utilité d’une telle mesure avait cependant été longuement débattue. Nous nous attendions également à ce que les rendements des Bunds à dix ans se situent entre 2,5 et 2,75 % à la fin de l’année 2023.
En définitive, l’économie mondiale s’est avérée bien plus résiliente que prévu, ce qui a permis aux banques centrales de procéder à des relèvements de taux plus agressifs, creusant l’écart entre nos prévisions et les taux effectifs. Nos prévisions concernant les rendements des Gilts et des Bunds se sont révélées assez précises, quoique les rendements du Trésor soient à ce jour supérieurs à ce que nous avions prévu.
En ce qui concerne les rendements générés par le crédit aux entreprises, nous avions prévu un léger élargissement des spreads. N’ayant toutefois pas anticipé les vents contraires liés aux taux, nous pensions qu’aussi bien les indices Investment Grade que les indices à haut rendement (£, $ et €) récompenseraient bien les investisseurs et généreraient le rendement annoncé en début d’année. Nous avons cependant assisté à un resserrement des spreads et à une situation dans laquelle les taux ont été un obstacle. En valeur nette/nette, cette situation a débouché sur le même résultat attendu et, à l’exception des Investment Grade en dollar US, la plupart des indices Corporate sont en bonne voie pour générer les rendements annoncés pour l’année.
Les divergences les plus importantes ont été enregistrées, sans surprise, sur le marché AT1 à la suite de l’effondrement du Credit Suisse. À notre légère surprise, les spreads ont malgré tout généré une performance supérieure à nos prévisions: l’indice s’est resserré d’environ 60 pb par rapport à notre point de départ (509), alors que nous n’avions prévu qu’un resserrement de 30 pb. Mais bien que l’indice se soit rétabli, il n’est que légèrement positif en cumul annuel depuis le début de l’exercice, et bien loin de générer les 8 à 10 % de rendement que nous attendions.
Les titres européens adossés à des actifs (ABS) ont eux aussi généré des rendements conformes à nos prévisions, les spreads se resserrant dans la plupart des domaines. Certains d’entre eux, tels que les CLO notées BBB, ont même dépassé de loin nos prévisions. Comme les problèmes liés aux crédits demeurent l’exception, que les spreads se resserrent et que les coupons augmentent avec la hausse des taux, le niveau élevé actuel des coupons a permis au secteur de conserver son attrait considérable Associé à des rendements importants, le secteur a été, pour l’heure, le plus performant de l’année 2023.
Des rendements à venir élevés, mais un parcours sinueux
À l’approche de la nouvelle année, nous avons constaté que les opinions des banques d’investissement divergent quant aux perspectives. De même, les discussions que nous avons eues au sein de TwentyFour ont été très animées quant à l’évolution probable des taux et spreads de crédit au cours de la prochaine année. Un fort consensus se dégage toutefois sur le fait que 2024 pourrait être une année très favorable aux rendements des investissements.
À la même période de l’année dernière, après une année 2022 très difficile, nous avions l’impression que les inconnues qui nous attendaient étaient moins nombreuses, et surtout qu’un grand nombre de mauvaises nouvelles étaient intégrées aussi bien par les gouvernements que par les marchés obligataires. Lorsque les prix des obligations reflètent de nombreuses mauvaises nouvelles et que les rendements sont également élevés, permettant de compenser un sentiment négatif toujours plus fort, les perspectives de rendement sont généralement intéressantes et, finalement, c’est précisément ce que de nombreux secteurs ont généré.
Toutefois, compte tenu des niveaux de volatilité enregistrés pour le seul mois de novembre, il convient de reconnaître que si nous avions formulé ces prévisions au début du mois de novembre, le tableau dressé aurait été bien différent. Fin octobre par exemple, l’indice du haut rendement en USD n’aurait pu générer que la moitié du rendement attendu par les rendements offerts fin 2022. Toutefois, on s’attend désormais à ce que l’indice génère en grande partie, sinon entièrement, le rendement annoncé.
L’impact de la hausse des emprunts d’État pour le seul mois de novembre (à ce jour, actuellement plus de 60 pb pour les bons du Trésor à dix ans) a considérablement contribué aux rendements, à commencer par les secteurs les plus corrélés aux taux. Les spreads de crédit se sont également resserrés, l’espoir grandissant que le cycle de relèvements des taux soit terminé, ce qui a étendu le rebond également à des secteurs à rendement plus élevé.
Le coût d’opportunité associé au fait de rester sur la touche alors que les rendements sont à ce point attrayants s’est retrouvé soudainement au centre de l’attention, encourageant les investisseurs à faire fructifier leur argent. Cela souligne par ailleurs également la vitesse à laquelle les marchés peuvent évoluer et la nécessité de se positionner sur le moyen terme malgré la probabilité que les mouvements à court terme soient douloureux. Le sentiment prédominant parmi les gestionnaires de portefeuille de TwentyFour est qu’il sera extrêmement difficile de synchroniser chaque composante des rendements de l’année à venir. La réaction des banques centrales aux données sera tout aussi importante, voire plus importante pour les mouvements à court terme, que la nécessité de prédire l’évolution du cycle conjoncturel. Différents membres de la Fed ont indiqué qu’ils n’hésiteraient pas à aller « trop loin » pour juguler l’inflation, propos que nous ne mettons pas en doute. N’oublions pas qu’il s’agit de la même Fed qui a attendu que le taux de chômage tombe en dessous des 4 % pour réagir à la flambée de l’inflation.
Outre la prévision des actions des banques centrales, nous nous attendons à ce que la performance du crédit dépende également de plusieurs facteurs. Par ailleurs, si le ralentissement conjoncturel devait être plus rapide ou plus important que prévu, les marchés pourraient avoir tendance à réagir de manière excessive.
Nos prévisions pour l’année dernière anticipaient un atterrissage plus ou moins en douceur aux États-Unis, associé à une entrée en légère récession de l’économie. Parallèlement, nous étions d’avis que le Royaume-Uni et l’Europe entreraient aussi probablement en récession. Les États-Unis ont manifestement mieux résisté que prévu. Nous continuons cependant à penser qu’en cette fin de cycle, une légère récession est plus probable qu’un atterrissage en douceur selon le scénario Boucle d’or. La consommation américaine semble ralentir et, bien que nous ne prévoyions pas de hausse importante du chômage, nous pensons que l’impact des taux d’intérêt élevés ne s’est pas encore entièrement répercuté sur l’économie et que le resserrement des conditions financières finira par freiner la consommation.
Nous pensons également que les difficultés bancaires régionales américaines persisteront, et nous nous attendons à la prolongation par la Fed de son programme de facilité de prêt d’urgence aux banques (Bank Term Funding Program) au-delà des douze mois initialement prévus. Les banques régionales américaines sont, collectivement, fortement exposées à l’immobilier commercial. La qualité de ce dernier n’est pas uniformément mauvaise, et tous les prêts ne doivent pas être immédiatement remboursés. Mais ces deux dernières craintes, associées au bilan des dépôts et à la faiblesse des liquidités, freineront probablement l’appétit du risque et les capacités de prêt de ces banques.
En définitive, nous n’avons guère changé de point de vue à cet égard. Nous attribuons désormais une probabilité de 50 % au scénario de base (atterrissage plus ou moins en douceur), tout en donnant une pondération identique à l’atterrissage brutal et à l’atterrissage en douceur, car nous avons revu à la baisse la probabilité d’un atterrissage en douceur (de 30 % à 25 %) malgré la résilience de l’économie américaine.
Les États-Unis et la Fed
Les décisions de politique monétaire de la Réserve fédérale et la volatilité des taux qui en a résulté ont eu un impact considérable sur les marchés cette année, un impact qui devrait se poursuivre en 2024, année électorale de surcroît.
Bien qu’il soit difficile de prévoir l’évolution des rendements des emprunts d’État, la conviction que les taux seront plus favorables l’année prochaine est très répandue. Cependant, de nombreuses variables compliquent le débat sur les bons du Trésor. Il s’agit entre autres de l’évolution de l’inflation, globale et sous-jacente, de l’impact de la chute rapide de la masse monétaire sur l’inflation, du décalage de la politique monétaire, du volume d’émissions requis pour financer le déficit, du mix d’échéances de cette masse, du recul des achats des bons du Trésor américains par la Chine et le Japon, ainsi que de la forme de la courbe de rendement et de l’évolution des rendements réels si la baisse de l’inflation se poursuit.
Aux États-Unis, l’inflation a été le principal moteur de la politique des taux d’intérêt depuis début 2022. Mais à mesure que l’IPC s’approche de taux plus confortables pour la Fed, l’évolution de l’économie américaine va jouer un rôle plus important sur les décisions que celle-ci prendra. Beaucoup pensent que les États-Unis vont éviter une récession et probablement en subir une forme légère, favorisée par le resserrement des conditions financières imposé aussi bien aux consommateurs qu’aux entreprises.
Nous pensons que la récession sera légère, avec une reprise en V. Cependant, les marchés ayant largement intégré un atterrissage en douceur avec scénario Boucle d’or, si les données économiques sont plus faibles, la Fed sera contrainte de réduire les taux, surtout si l’inflation approche de la cible.
Soulignons que l’économie américaine a remarquablement bien résisté. Mais en fin de compte, nous pensons que cela s’explique par le fait que les consommateurs restent résistants, essentiellement grâce aux hausses de salaires, à un faible taux de chômage et à une épargne excédentaire rassurante. Toutefois, les signes d’affaiblissement des consommateurs se multiplient. Les rendements élevés actuels commencent également à avoir un impact négatif sur l’activité commerciale, et la dernière enquête auprès des responsables du crédit aux États-Unis a révélé une demande très faible de crédits.
L’économie américaine semble se trouver en fin de cycle et est donc particulièrement vulnérable à des chocs externes, bien qu’il soit impossible de prédire un événement de ce type. Toutefois, si l’économie devait subir un ralentissement considérable ou une récession, nous pensons qu’il serait très vraisemblablement dû à la politique de relèvements des taux de la Fed, le plus important étant cependant le fait que la Fed peut désormais agir en baissant les taux. C’est une position de force qui est plus saine pour le marché, et bien que nous pensions que la Fed agira dans ce sens, nous ne prévoyons pas de retour aux taux faibles de la période Covid ou à un assouplissement quantitatif.
Nous pensons que la Fed procédera à des baisses de taux l’année prochaine, peut-être jusqu’à 100 pb, mais notre scénario de base ne prévoit que quelques réductions. Toutefois, l’évolution des rendements à dix ans est difficile à prévoir, même si l’on part du principe que ces baisses auront effectivement lieu. La réaction logique et la plus probable est un rebond le long de la courbe, avec un mouvement parallèle à la baisse pour le rendement. Mais l’émission accrue de bons du Trésor, la normalisation de la courbe de rendement et le resserrement quantitatif (RQ) contribueront à déterminer le niveau auquel les rendements finiront par s’établir. À cet égard, une pentification haussière agressive, dans le cadre de laquelle les taux à long terme demeureraient relativement élevés même après de multiples réductions des taux, pourrait être envisageable. Nous pensons par ailleurs que le RQ pourrait prendre de l’importance l’année prochaine, et qu’un retrait excessif d’argent des banques aux États-Unis aurait un impact négatif sur la disposition de ces dernières à en prêter, ce qui entraverait davantage l’économie.
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